LITTÉRATURE

« Assemblage » – Patchwork

Richard Bravery. Photo © Gettyimages
Richard Bravery Photo © Gettyimages/Grasset

Pour son premier roman, Natasha Brown assemble son livre comme un patchwork. Une première œuvre à charge, mais au canevas parfois trop décousu.

C’est un titre polysémique qui accueille les lecteur·ices anglophones : Assembly en v.o., signifie à la fois « l’assemblée » et « l’assemblage ». L’assemblée, c’est celle qui se réunit pour une petite fête «  informel[le] » chez les parents du copain de la narratrice. Une assemblée dont elle se sent exclue, n’ayant pas le capital culturel de cette riche et vieille famille britannique. L’assemblage, c’est le patchwork de moments décrits et juxtaposés dans ce court roman d’une centaine de pages. Autant de fragments, qui, mis bout à bout, forment le tableau d’une femme meurtrie par le racisme et le mépris.

La narratrice travaille dans une grande banque, ce qui lui permet, comme se plait à lui rappeler son petit ami, d’être « pétée de thunes ». Lui, des « thunes », il en a déjà, mais c’est un argent ancien, pour lequel il n’a pas dû travailler, un argent plus noble. Il est « fortuné ». Une fortune acquise au temps de l’esclavage, souligne la narratrice, à l’époque où l’empire britannique était surnommé l’empire où jamais le soleil ne se couche. De famille originaire de Jamaïque, pays dans lequel elle n’a jamais mis les pieds, la narratrice subit plusieurs couches de violences. Entre le racisme, la misogynie et les problèmes de harcèlement ou de viol au travail, on comprend par touches toutes les oppressions qu’elle subit.

« Née ici, de parents nés ici, jamais vécu ailleurs – pourtant, jamais d’ici. Leur culture devient une parodie sur mon corps à moi. »

Natasha Brown, Assemblage

Conte en banque

Mais c’est peut-être cette accumulation de touches suggestives qui desservent le roman. Jamais la narratrice ne prononce un seul mot tout au long de la centaine de pages qui le constituent. Étant banquière (comme l’autrice elle-même), la narratrice reconnaît pourtant avoir « une légitimité conférée par un titre ronflant dans une entreprise avec pignon sur rue ». Mais parce que cette légitimité n’est pas encore pleinement acquise, il ne lui est pas possible de dire certaines choses à voix haute. Parce que sa légitimité est fragile, matérielle et jamais symbolique. Ses collègues se plaisent à la soupçonner d’avoir obtenu sa place grâce aux quotas. Et son petit ami lui fait comprendre qu’elle possède un capital financier, mais pas culturel. Dans la première partie du texte, des images saccadées s’enchainent. S’agit-il de journées au bureau présentes ou de souvenirs ? Ces instants ou souvenirs par secousses laissent deviner un traumatisme. Dans la deuxième partie, c’est une autre forme de traumatisme que doit affronter la narratrice. Dans l’attente de la fête, tout le racisme (in)conscient de la belle famille gâche ce beau tableau de perfection britannique.

« L’ambivalence de la mère était plus classique. […] L’avenir, les enfants et la pureté – pas dans un sens racial crasse, non. Bien sûr que non. Il était question d’une pureté de lignée, d’histoire : de mœurs et de sensibilités culturelles partagées. »

Natasha Brown, Assemblage

Encensé lors de sa sortie au Royaume-Uni, Assemblage a connu un beau succès outre-Manche. Ce premier livre très à charge politiquement manque cependant d’incarnation. Les réflexions politiques prennent le pas sur l’histoire qui est assez pauvre. Bien que sa forme soit originale, elle devient paradoxalement sa faiblesse à mesure que l’intrigue avance. Espérons cependant que Natasha Brown suivra les pas de sa compatriote Zadie Smith pour le succès, ou qu’elle se fraiera son propre chemin.

Assemblage de Natasha Brown traduit de l’anglais par Jakuta Alikavazovic, Grasset, 2023, 160 p., 17€

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