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« We Wear Our Wheels with Pride… » – Une danse hors du temps

@ Jérôme Séron

Jouant sur les temporalités, We Wear Our Wheels with Pride… tisse des liens entre passé, présent et futur. Alternant entre tradition et rituels, instant présent et techniques futuristes, Robin Orlyn invente de nouvelles formes esthétiques et transgresse les règles avec liberté.

Chorégraphe blanche originaire de Johannesburg, Robin Orlyn admirait les masques haut en couleurs et les courses à caractère céleste des rickshaws. Teinté de couleurs et de vie, ce spectacle est en fait un hommage à l’histoire tragique des rickshaws exploités par les colons. Qualifiés de «  ihashi  » (chevaux en zoulou), êtres majestueux mais asservis par l’Homme, les rickshaws (pousse-pousse) se déplaçaient avec grâce et légèreté dans les rues de Durban sous les yeux insouciants de Robin Orlyn enfant.

Mais cette beauté cache une autre réalité, celle des conséquences du colonialisme. Loin du pathos auquel on pourrait s’attendre, ce spectacle est rempli de vie, d’énergie, d’images colorées et d ‘humour dans le but de transformer la laideur de cette forme d’esclavagisme en une beauté de la mémoire. Les danseurs embrasent leur histoire et la portent avec fierté.

Une danse du travail

Sur scène, six danseurs de la compagnie «  Moving into Dance  » créée comme une forme de résistance à l’Apartheid située à Johannesburg, illustrent avec énergie mais aussi épuisement les réalités physiques des rickshaws.

Jouant avec l’espace de danse parfois restreint, seulement un petit carré blanc dans lequel ils tournent en rond tels les poneys de fêtes foraines. Il fallait se vendre, avoir le masque le plus majestueux, ils étaient ainsi considérés comme attractions touristiques. Tour à tour, ils s’expriment individuellement par la danse, des mots et le motif de leurs masques. Nous découvrons qu’il y a un individu sous ces masques à cornes avec ses aspirations et façons de bouger. L’animalisation qu’ont subi les rickshaws se voit ici détournée.

La frontière est fine entre la danse contemporaine et la danse traditionnelle zouloue, toutes deux composées d’envols et de chutes, à l’image du paradoxe entre vie et mort, rire et mélancolie que retranscrit la chorégraphe. Mêlant des mouvements

@ Jérôme Séron

Ces danses aboutissent à un épuisement total. Les corps suants des danseurs sont mis en avant grâce aux rapprochements face caméra. Nous constatons l’effort mais aussi le surmenage dont ils sont victimes.

L’aspect parfois animal de la danse peut esquisser quelques rires dans la salle vite rattrapés par le fond du propos. Mettre les spectateurs dans une position délicate est une des caractéristiques du travail de la chorégraphe.

Un instant intensément présent

Dès le début du spectacle, le quatrième mur est brisé, les danseurs s’adressent directement au public et au régisseur lumière avec humour. Si vous comptiez vous terrer au fond de votre siège dans le noir, c’est sans compter la tendance qu’a la chorégraphe à rompre la frontière entre la scène et la salle.

Nos corps et nos voix sont réquisitionnés dans un échange d’énergie qui nous emportent dans un autre espace-temps. L’image des bras s’agitant en l’air rend le moment magique et réchauffe les corps et les cœurs en cette saison hivernale. La sensation du moment présent est décuplée par le fait que la musique et les effets visuels sont créés en live.

La voie angélique de la chanteuse Anelisa Stuurman transporte quiconque l’écoute. Accompagnée du musicien et compositeur Yogin Sullapen, ils forment un duo qui transcende le public. Grâce au looper, la musique est composée en directe utilisant des instruments traditionnels comme contemporains pour créer un style afro-futuriste propre à eux.

Regroupant plusieurs styles de musique (opéra, poésie élogieuse er chants indigènes), ces musiques expérimentales font œuvre et résonnent en chacun des spectateurs.

Un appel à la mémoire

L’humour et la vitalité que nous transmet ce spectacle ont tendance à nous faire oublier ce à quoi ils font référence. Pourtant, l’appel à la mémoire est bien présent. Et c’est précisément dans le souvenir d’un instant intensément ancré dans le présent que la mémoire est forte. L’aspect éphémère de la danse et du moment présent est vite rattrapé par le jeu avec les images.

Les danseurs sont filmés d’en haut comme des êtres sacrés. Robin Orlyn joue sur l’image, celle qui reste en mémoire. Grâce aux caméras, nous assistons à une réalité modifiée et sous plusieurs angles. Grâce aux effets visuels en live apportés à la captation vidéo qui filme les danseurs en direct, les mouvements sont transformés en traces.

Un parallèle créé par un des danseurs entre les rickshaws et les livreurs Uber Eat, nous permet de réfléchir aux conséquences encore bien présentes du colonialisme.

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