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« Misericordia » – Une misère authentique

© Christophe Raynaud de Lage

Trois prostituées élèvent un garçon orphelin et handicapé dans des conditions de vie précaires. Emma Dante, metteuse en scène, nous livre un spectacle comique et touchant révélant des existences taboues avec lyrisme.

Sur scène, trois femmes qui vendent leur corps la nuit et tricotent le jour, élèvent ensemble un jeune homme orphelin et handicapé. Pour autant, Misericordia n’est pas une pièce sur les travailleuses du sexe comme on pourrait s’y attendre de nos jours.

C’est seulement un élément de plus dans la misère qu’illustre la metteuse en scène, Emma Dante. Elle a aussi un penchant pour les portraits de personnes classées en marge par la société. Même si le sujet des prostituées n’est pas en première ligne, celui du corps est prédominant.

© Christophe Raynaud de Lage

Quatre chaises en bois en fond de scène et un grand espace scénique est tout ce qu’il faut à Emma Dante pour nous dresser un portrait de la misère. L’espace est justement divisé, l’expression corporelle prend place sur toute la scène, et l’adresse directe aux spectateurs se trouve en devant de scène créant une certaine proximité.

Une danse théâtre

Le corps est outil d’expression, de revendication et de misère. Il donne un rythme à la pièce, d’autant plus que les mouvements sont souvent accompagnés de musique. Il nous donne à voir l’imperceptible, nous fait ressentir les tensions, la violence mais aussi l’amour entre les quatre personnages.

Soudés mais aussi opprimés par la misère dans laquelle ils baignent, le corps sert de communication pour l’enfant qui ne décroche pas un mot mais dont la présence corporelle est proéminente. À contrario, les femmes débitent des paroles. Le fossé entre les mères et le garçon s’efface dans les mouvements corporels.

Les mots sont délaissés au profit du langage corporel. Dès le début de la représentation, les mots sont insignifiants. Deux des femmes inventent un langage dont les intonations et les gestes parlent d’eux-mêmes.

Le corps est aussi présent dans la narration, il est objet d’oppression et sujet aux violences. À l’instar de la mère biologique de l’enfant, morte sous les coups de son conjoint. Il est aussi symbole de fierté et de force. Outil de travail pour ces trois femmes, elles se dévêtent et meuvent leur corps avec hargne et érotisme. Danse accompagnée d’un cache-misère : du déodorant bon marché qui embaume ou plutôt étouffe la salle.

Les corps s’entrechoquent, se mêlent et s’isolent même parfois. Mais il est une excellente représentation des relations qu’entretiennent ces quatre personnages. La haine qui semble se dégager des paroles est discréditée par ce que les corps disent.

Une misère poétique et réaliste

Ce spectacle, malgré les thématiques de pauvreté et d’handicap qu’il aborde, est loin d’être tragique. Il véhicule même beaucoup de rire dans le public à l’aide d’un comique de geste et autres broutilles révélatrices de leur misère.

Ce n’est pas un théâtre d’action mais plutôt narratif et descriptif. Beaucoup parle du travail d’Emma Dante comme d’un théâtre documentaire. Il s’agit pourtant bien d’une fiction même si elle aborde des sujets éminemment contemporains et sociétaux. La poésie se trouve dans les mouvements virevoltants et pleins de vie du garçon. La performance de jeu et de danse maîtrisée et technique de Simone Zambelli est remarquable.

Emma Dante nous donne à voir un microcosme de la société, le lieu étant un petit appartement calfeutré qui offre un grand espace scénique d’expression personnelle. Elle offre de la place et de la visibilité à celles et ceux qui en sont privés. Le spectacle nous montre l’invisible, il débute par un noir et se termine de la même façon.

Il ne prétend pas faire changer les choses. Ce qui semble insignifiant aux yeux de la société repasse vite aux oubliettes après avoir été mis en lumière. La misère ne se transforme pas en richesse et bonheur.

Cependant, le bonheur se trouve dans la misère, celui véhiculé par les corps et l’amour entre les personnages. La misère est nuancée par les vertus du cœur : « misericordia » en italien, signifie « misère » et « cœur ».

Iels alternent entre le devant et le fond de la scène où sont placées les chaises. L’espace scénique est organisé de sorte à ce que le devant de la scène soit un lieu de prise de parole et d’adresse aux spectateurs.

Misericordia mis en scène par Emma Dante joué le 18 mars 2023 à l’ARC à 20h.

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