CINÉMA

« Anna » – Entre cinéma et vérité

Anna © Les Films du Camelia
Anna © Les Films du Camelia

Anna, film de Massimo Sarchielli et Alberto Grifi, ressort en salles ce mercredi 14 décembre 2022. Retour sur cette œuvre phare du cinéma underground italien des années 1970, mélangeant cinéma et vérité.

Place Navone, Rome, janvier 1972 : Massimo Sarchielli, acteur de théâtre underground, rencontre Anna. Elle vit dans la rue, au sein d’une communauté où cohabitent féministes, gauchistes et petits délinquants. Mineure, enceinte et droguée, la jeune fille vient de s’enfuir pour la énième fois d’une maison de correction. Massimo décide alors de l’inviter chez lui, où Anna va devenir une véritable muse.

Dépasser le cinéma, aller vers la vie

Accompagné d’Alberto Grifi, un pionnier de l’avant-garde cinématographique des années 60, Massimo commence à tourner en 16mm. Ils tentent à eux deux de faire rejouer à Anna des moments qu’elle a déjà vécus. Mais Anna ne veut pas seulement être l’objet du film, mais son sujet. Elle se refuse ainsi à jouer ce qui est authentique pour elle.

Mais tout bascule quand Vincenzo, l’électricien du film, surgit dans le champ de la caméra pour déclarer sa flamme à la jeune femme. L’illusion cinématographique est définitivement rompue, déjà fragilisée par des scènes rejouées plusieurs fois. Le but est donc pour Massimo Sarchielli d’atteindre une forme de cinéma-vérité. Il souhaite dépasser le cinéma direct, qui a tendance à brider n’importe quel geste spontané dans un travail basé sur un critère économique – le coût de la pellicule. Ce qui finit par réifier et transformer en marchandise la puissance subversive du réel.

Sous les années de plomb

Misère, avortement, immigration, lutte des classes : Anna n’est autre qu’un miroir de l’Italie des années 70, tourmentée par les “années de plomb”, des années de contestations sociales aussi bien d’extrême gauche que d’extrême droite. Le film témoigne des contestations que connaissent les pays d’Europe, comme mai 68 en France, où le cinéma aussi est bouleversé. La place Navone, à Rome, devient en quelque sorte le nouveau forum romain. Ainsi, elle se convertit en lieu de débats électriques, de rencontres, de manifestations, de discussion entre les différents protagonistes.

Le portrait de cette jeune file mineure, droguée, enceinte et à la rue, est avant tout le portrait d’une Italie qui se porte mal. Anna passe de muse à figure allégorique, elle représente cette Italia Ferrita, la Marianne italienne, et surtout son côté sombre. Délaissée sur cette place publique, à la vue de tous, Anna reflète l’indifférence de l’Etat face à la misère et questionne l’inaction politique. Anna est donc bien plus qu’un simple film sur une mineure à la rue, c’est un film sur l’Italie toute entière.

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