LITTÉRATURE

« L’usage du thé » – L’invitation au voyage

L'usage du thé
© Lucie Azema, éditions Flammarion

Pour son deuxième essai, la journaliste Lucie Azema revient sur l’histoire de l’une de ses passions, le thé. Un ouvrage riche et passionnant, qui confirme son talent de conteuse.

Le sujet peut, de prime abord, sembler anecdotique. Comme le rappelle très bien Lucie Azema, au début de ce nouvel essai, L’Usage du thé, cette boisson est rapidement devenue une décoction d’intérieur en Occident, l’apanage des femmes, cantonnées au domestique tandis que les hommes s’autorisent la conquête des grands espaces. Puisque féminin, le thé serait forcément indigne d’intérêt. Circulez, il n’y a rien à voir, pourrait-on se dire. Et pourtant, nous rappelle Lucie Azema, raconter le thé c’est raconter un petit bout de l’histoire du monde. Une histoire jalonnée de conquêtes (masculines), de grands voyages, qui nous parle de la colonisation et de notre capacité à nous rassembler, pour profiter de l’instant présent.

Ce deuxième essai, foisonnant, indique le goût pour l’iconoclasme de son autrice. Journaliste de formation et voyageuse au long cours, la trentenaire faisait l’an dernier une entrée remarquée en littérature avec un premier opus, Les femmes sont aussi du voyage (ed. Flammarion), manifeste féministe invitant les femmes à surmonter leurs peurs et prendre la route. C’est au cours de ses voyages, nombreux, en Turquie, en Iran ou en Ouzbékistan que Lucie Azema a pris goût au rituel du thé. Servi différemment selon l’endroit où l’on se trouve, cette boisson millénaire et polymorphe se mue en port d’attache, en constance dans cette vie d’inconstance que mène l’autrice.

Récits d’aventure

Si le breuvage qui nous intéresse est aujourd’hui circoncis au domaine du féminin – les salons de thé du XXIe siècle ne sont pas exactement des centres névralgiques de la masculinité – il l’a pourtant longtemps été. D’origine asiatique, l’histoire de l’acheminement du thé vers l’Europe est une histoire de violence. De la brutalité des Britanniques, en premier lieu, qui découvrirent le thé en Chine. Les ruses dont ils firent usage pour se l’approprier figurent aujourd’hui dans les manuels d’histoire : la mise en place d’une véritable addiction à l’opium dans le pays, qu’ils échangeaient contre des feuilles de thés. Jusqu’à ce que, las de faire du troc, ils décidèrent de voler purement et simplement les théiers, pour aller les planter dans leurs colonies indiennes. C’est comme ça que le thé est arrivé dans le pays de Gandhi, qui en fait sa spécialité encore aujourd’hui.

« C’est à cet endroit qu’il est difficile d’être : celui de la double absence. Ne plus être ici ni ailleurs – observer sans jamais faire partie. Mais je crois que c’est précisément cette faille que je recherche : elle contient la liberté la plus radicale. Aller là où je suis, revenir où je ne suis plus.  »

L’Usage du thé, Lucie Azema

L’histoire du thé est aussi une histoire d’aventuriers. Inspiré du récit de voyage de l’écrivain suisse Nicolas Bouvier L’Usage du monde, notre récit presque éponyme rend hommage à tous ces voyageurs et aventuriers, qui, comme Lucie Azema aujourd’hui, ont gravi les montagnes, traversé les rivières, découverts de nouvelles cultures, sans jamais oublier de faire une pause, pour prendre le thé. C’est notamment le cas de l’illustre voyageuse Alexandra David-Néel, l’une des premières femmes à avoir osé s’aventurer au Tibet au beau milieu d’un début de vingtième siècle hostile aux droits des femmes. Ce faisant, Azema rend hommage mais surtout, prolonge, ces traditions. Celle du thé, du voyage, puis du récit d’aventure. Fait souffler un vent nouveau sur ce riche et trop méconnu héritage. Nous donne envie à nous aussi, lecteurs profanes et sédentaires, de visiter le bout du monde.

L’Usage du thé, Une histoire sensible du bout du monde de Lucie Azema, éditions Flammarion, 25 euros.

Journaliste

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