Raconté à hauteur d’un enfant, Le Monde de Kaleb, premier documentaire long de Vasken Toranian, pose un regard sur une solidarité rare entre quatre solitudes, redéfinissant une famille et une quête pour obtenir des papiers dans les limbes de l’administration française. En salle depuis mercredi.
Au commencement, il y a un petit garçon de dix ans, Kaleb, et sa maman Betty, enfuie d’Éthiopie et sans aucun document prouvant son existence sur terre. Il y a la nécessité pour l’enfant, né et scolarisé en France, d’acquérir des papiers d’identité – d’autant que le père absent avait, lui, un statut de réfugié. La caméra documentaire de Vasken Toranian apparait brute, presque celle du reportage filmé à l’arrachée. Aucune stylisation, aucun gras de mise en scène ne viennent appuyer le récit réel.
La misère sociale nous est montrée telle qu’elle est, sans nous épargner mais seul compte l’humain au centre et ce qui s’y joue. Alors le réalisateur s’efface et observe le monde de Kaleb, qui en dehors de sa mère, se compose de Jean-Luc, un artisan-tailleur et de son ami Mehdi. Une rencontre du hasard, un jour où Kaleb est venu traîner dans les jambes du premier pendant que Betty faisait le ménage dans le même immeuble : « On ne peut pas résister à un enfant » confie-t-il.
Pendant plusieurs années, les deux hommes vont accompagner et se battre à leurs côtés – puisqu’il s’agit d’un combat pour un droit fondamental – contre l’administration. Si l’obtention des papiers est le fil rouge de la narration, le coeur principal du film va peu à peu se jouer ailleurs, dans les liens profondément désintéressés, tissés par ce quatuor abîmé par la vie. L’intime se dévoile dans de longues scènes de discussions parfois animées, où apparaissent ces craquelures de l’existence dans lesquelles se glisse l’émotion. Kaleb, lui, dans ce monde qui est le sien semble vouloir fuir fréquemment ce que la caméra saisit et pourtant sa présence en est le centre, mais du haut de ses dix ans, il lui faut encore trouver sa place dans ces incertitudes.
Le Monde de Kaleb, est de ses oeuvres – comme dans le cinéma de Kore-eda – dont la beauté réside dans cette humanité extrême entre les êtres, sans pathos aucun. Ou comment démontrer en un film qu’une famille ça se choisit, ça se compose et ça s’entraide avec tendresse malgré les difficultés rencontrées.