LITTÉRATURE

« Jusque dans la terre » – Le diable au corps

© Aux forges de Vulcain
© Aux forges de Vulcain

Cette période d’Halloween et de la Toussaint résonne particulièrement avec Jusque dans la terre. Dans cet étrange petit livre, son premier, Sue Rainsford crée son propre mythe, hors du temps et de l’espace.

Ada et son père ne sont pas humains et occupent leur temps à guérir les gens qui sollicitent leur aide. Hors de leur maison isolée, les habitant·es sont pour eux des cures, variation des moldus. Et étrangement, pour soigner ces cures, il faut soit les ouvrir, soit les enterrer vivant·es. Un jour Ada se soustrait au regard de son père pour entamer une relation avec une de ces cures, Samson. Son père désapprouve, les autres cures aussi. Mais Ada ne peut pas s’en détacher, et l’urgence de garder son amant devient pour elle de plus en plus pressante.

Les étés, par ici, sont faits de longues herbes négligées, d’une uniforme lumière de citron, de chaleur qui cuit la terre et qui fait vibrer l’air. Les ombres sont si noires, si profondes qu’elles semblent aussi solides, aussi vivantes que les corps qui les projettent.

Sue Rainsford, incipit de Jusque dans la terre

Corps organiques

Sue Rainsford crée une histoire qui pourrait se fondre dans le folklore irlandais, d’où elle est originaire. Dans ce court récit, la galerie de personnages est restreinte et le texte est épuré. C’est à tâtons que l’on comprend quels sont les rapports entre Ada et son père, entre Ada et les cures. Si le point de vue principal est celui de la jeune femme (qui a quand même une centaine d’année dernière elle), Sue Rainsford entrelace aussi les voix des autres cure à la manière de témoignages. On apprend ce que tel habitant pense des deux guérisseurs par exemple. Et si Ada et son père sont indispensables aux cures, ils sont aussi effrayants. Pas totalement humains. Pas tout à fait autre.

Jusque dans la terre est un livre sur un désir dévorant. À mesure qu’il avance, le récit plonge dans le réalisme magique comme les corps sont plongés dans la terre pour être guéris. Le point de vue des cures et le regard du père se font de plus en plus insistants, de plus en plus agaçants pour Ada, comme un murmure qui monte crescendo en intensité, comme un murmure qui se ferait hurlement. En s’attachant à Samson, Ada s’est attachée au seul être qui voulait bien d’elle. C’est aussi le seul qui ne pouvait lui convenir. Car Samson est malade. Mais ce n’est pas une maladie qui peut être soignée, comprend-on à demi mots.

Pour son premier roman, Sue Rainsford n’a pas choisi la facilité. Son récit est fait d’impressions plus que d’un fil narratif limpide, parfois difficile à saisir mais intéressant à suivre. Elle installe une ambiance horrifique qui rappelle le le manga L’enfant et le maudit (2015-2021) et le film The Hole in the Ground (2019). En 2021 paraissait en langue anglaise le deuxième roman de Sue Rainsford, Redder days. L’autrice y poursuivait son exploration du genre de l’horreur et du réalisme magique.

Jusque dans la terre de Sue Rainsford, traduit par Francis Guévremont, édition Aux Forges de Vulcain, 224 p., 20€

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