CINÉMA

« Jacky Caillou » – Cinémerveille

Thomas Parigi dans Jacky Caillou
© Arizona Distribution

Présenté à Cannes 2022 dans la section parallèle de l’ACID, le premier long métrage de Lucas Delangle tient toutes les promesses suscitées par un tel soutien. Conte initiatique mâtiné de douceur, Jacky Caillou explore les ressorts de l’acte créatif, ses miracles et ses limites.

Haut perché sur un plateau alpin, Jacky Caillou (Thomas Parigi) vit avec sa grand-mère, Gisèle (Edwige Blondiau), magnétiseuse-guérisseuse reconnue dans la région. Jugeant son petit-fils prêt à accueillir l’héritage immatériel, elle décide de lui transmettre son don. C’est alors qu’un premier exercice se présente à lui, sous la forme d’une jeune femme (Lou Lampros), à la tache mystérieuse.

Avec Jacky Caillou, Lucas Delangle travaille astucieusement la question de la place de la croyance dans tout processus créatif. C’est ce que l’on perçoit dès l’ouverture du film dans laquelle Jacky Caillou déambule candidement dans la maison familiale, un drôle d’appareil à la main. Apprenti musicien, il compose ses morceaux en récoltant et collant les sons qui l’entourent. Un geste créateur qui repose sur la capitulation du désir d’ordonnancement fondateur au profit de l’attente, provoquée tout de même, du surgissement d’un sacré tout personnel. Et cette attention portée aux faits très humbles de son environnement, c’est la même qui guide le premier long métrage de Lucas Delangle.

Regarder vers le bas

C’est que la caméra du réalisateur scrute chaque détail, chaque déplacement du corps dans l’espace, au sein d’une mise en scène naturaliste, quasi-documentaire. Et c’est en empruntant ce chemin que le jeune réalisateur mène le.la spectateur.ice au seuil d’un monde qui n’attend que sa foi pour l’accueillir.

Thomas Parigi dans Jacky Caillou
© Arizona Distribution

Car la maison de Gisèle est peuplée d’âmes passagères à la recherche du grand soulagement. La pièce à vivre, encombrée de chaises sur lesquelles s’affaissent les corps souffrants de la région, fait office d’antichambre du miracle tant attendu. En échange des services rendus, pas d’argent mais des cadeaux, comme autant d’offrandes à une divinité tout de chair et d’os vêtue. Pas de marchands dans ce temple donc, mais des travailleur.euses dont les maux bien humains réclament le secours de l’irrationnel.

Lucas Delangle fait retour, avec une grande sensibilité, aux racines d’une foi naïve, celle ramassée dans la formule «  credo quia absurdum  » («  je [le] crois parce que c’est absurde  »)[1]. Et pourtant, jamais sa caméra ne lève les yeux vers le ciel. Jacky Caillou opte pour le mouvement inverse. Il regarde les corps et la terre. Rappel nécessaire que la foi n’est pas l’apanage des dévots. Le païen aussi doit croire s’il veut espérer un peu.

Tel est le chemin de Jacky, qui travaille, aux côtés de sa grand-mère, à gagner en «  sensualité  ». Une qualité dont il manque cruellement, selon elle, pour développer le don du magnétisme. Cette sensualité, c’est la marque de ceux qui savent s’abandonner, temporairement, aux charmes du sacré. Lucas Delangle le sait et offre, au creux d’une première partie à l’image épurée, quelques moments faisant signe vers le sublime.

L’anti-miracle  ?

C’est que, le réalisateur ne s’embarrasse de rien d’autre que ce qui se passe sous nos yeux. Jacky Caillou, le film comme son personnage éponyme, sait aussi s’abandonner  : il s’en remet à la faculté d’adhésion de son.sa spectateur.ice. Que celui-ci soit de cinéma ou interne au récit, c’est la même capacité à se laisser aller à la crédulité qui est en jeu. Le miracle ne relèvera jamais de l’évidence ; il faut savoir lui préparer le terrain.

C’est donc naturellement que Jacky Caillou s’essaye au magnétisme d’une façon très simple : en plaçant ses deux mains face à son objet, les yeux mi-clos, mais sans plus d’artifices. Les plans moyens construits par le réalisateur brouillent la frontière que l’on se plaît à tracer entre documentaire et fiction. En fait, ils n’attendent que nous, spectateur.ices, pour glisser d’un côté ou de l’autre. Il faut y croire pour le voir, nous glisse Lucas Delangle. Magnifique façon de résumer ce que peut être le cinéma.

C’est pourquoi l’arrivée de la jeune Elsa (Lou Lampros) marque une rupture. Avec la tache velue qui se déploie sur son dos, Jacky Caillou enjambe le doute, et saute à pieds joints de l’autre côté du seuil. Le film fonctionne moins bien, justement parce qu’avec Elsa et ses mystères, arrive l’image de synthèse numérique, et donc la matérialisation de ce qui relevait jusque-là des tâtonnements de l’imagination.

Reste que dans l’abandon d’Elsa aux mains novices de Jacky Caillou, demeure un enseignement fondamental pour celles et ceux qui s’aventurent parfois hors des sentiers battus de la raison  : il faut savoir renoncer à la tentation du miracle, pour qu’enfin il advienne.


[1] Locution latine attribuée, de façon apocryphe, à l’écrivain de langue latine, Tertullien.

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