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« Ces mauvaises femmes » – Histoire des représentations

María Hesse © éditions Presque Lune
María Hesse © éditions Presque Lune

L’autrice et illustratrice María Hesse publie cet automne aux éditions Presque Lune l’essai graphique Ces mauvaises femmes. L’occasion pour elle de dresser le bilan des représentations des personnages féminins dans la culture occidentale.

L’actualité culturelle de cette fin d’année 2022 résonne particulièrement avec le travail de María Hesse. L’autrice espagnole est notamment connue pour ses biographies illustrées d’artistes. On lui doit par exemple une belle biographie de Frida Kahlo qui peut enrichir la visite de l’exposition Frida Kahlo au-delà des apparences au palais Galliera, visible du 15 septembre au 5 mars 2023.

Elle a également réalisé avec Fran Ruiz une biographie de David Bowie. En septembre dernier, les cinémas français projetaient Moonage Daydream de Brett Morgen, un film sur Bowie présenté hors compétition à Cannes. Enfin, il y a sa biographie de Marilyn Monroe qui peut être relue en parallèle du film Blonde de Andrew Dominik, film lui-même adapté du roman de Joyce Carol Oates, sur Netflix depuis fin septembre.

Ces dernières années, María Hesse s’est un peu éloignée de la biographie pour se consacrer aux essais graphiques. Ainsi, en 2020, elle a publié Le Plaisir, un livre consacré au plaisir féminin dans lequel elle convoquait des figures aussi variées que Lilith (celle de la Bible, avant Eve) ou Anaïs Nin et Eve Ensler. De plus en plus, les livres de l’autrice espagnole tendent à se rapprocher de ceux de la suédoise Liv Strömquist. C’est-à-dire, un mélange d’essai et de dessins, mêlant anecdotes personnelles, extraits d’études sociologiques et références à la pop-culture.

Elle revient cette fois-ci en librairie avec Ces mauvaises femmes qui tente rien de moins que de dresser l’état des lieux des représentations des (méchantes) femmes dans la culture occidentale. En d’autres termes, tous les personnages archétypaux qui ne se conforment pas au mariage traditionnel : belle-mère, femmes fatales, sorcières, militantes.

Folles, putes, sorcières, casse-couilles, manipulatrices… En somme, MAUVAISES. Voilà la case dans laquelle on met les femmes, parfois dès l’enfance, dès qu’elles franchissent la ligne. Mais, cette ligne, qui l’a tracée ? Que délimite-t-elle ?

María Hesse, Ces mauvaises femmes

Contes défaits

Comme dans la petite enfance, tout commence par des contes de fées. María Hesse détruit ces premiers mythes avec une question : le modèle proposé pour les petites filles est-il le bon ? La Belle au bois dormant passe les trois quart du conte à dormir, Blanche-Neige, très naïve, croque dans la pomme sans se poser de question… Une réflexion déjà bien développée dans la BD à l’humour noir Et à la fin ils meurent de Lou Labie, qui retrace l’histoire sombre des contes, loin des versions édulcorées de Disney.

María Hesse © éditions Presque Lune

C’est ensuite un parcours chronologique que nous propose l’autrice espagnole : un parcours suivant le cours des siècles et suivant la construction de chaque enfant. Après avoir écouté les contes de fées, l’enfant poursuit son éducation avec les mythologies grecque et latine, et potentiellement (surtout en Espagne) la Bible. Viennent ensuite les romans qui se nourrissent largement de ces grands pôles.

Et sans surprise, les figures féminines sont souvent limitées (la gentille ou la méchante). Mais María Hesse ne se cantonne pas à la fiction, comme le montre son détour par l’épisode des sorcières de Salem (largement repris par l’imaginaire populaire) ou son rappel du combat de Komako Kimura, suffragette japonaise qui se rendit à New York pour lever des fonds dans le but de lutter pour le suffrage universel dans son pays.

Figures féministes

Dans chacun de ses livres, les personnages des dessins de María Hesse sont parfaitement identifiables. On trouve les mêmes grands yeux en amande, les mêmes pommettes rehaussées de rouge et les mêmes fleurs. Même lorsqu’elle dessine Carrie, dégoulinante de sang et entourée de flammes, la dessinatrice la rend très digne et gracieuse. Souvent présentés en point de vue frontal, les portraits occupent une page sur deux de l’ouvrage.

C’est parfois comme si l’autrice s’amusait à revisiter les représentations de saint·es dans les portraits en premiers plans. Ainsi, les plantes grimpantes remplacent les auréoles d’or. Et comme dans la peinture religieuse, une connivence s’opère. Ce n’est plus tel épisode biblique qu’il faut deviner, mais telle figure féminine. En une image, elle parvient à faire voir Anna Karénine, Aphrodite, Meryl Streep dans Le Diable s’habille en Prada ou encore Billie Holiday.

María Hesse © éditions Presque Lune

Si Ces mauvaises femmes retrace les représentations souvent négatives des femmes dans la culture ou la place qui leur est laissée dans l’histoire, le livre s’achève tout de même par une note positive. De nouvelles voix émergent et avec elles, de nouveaux regards rafraîchissants. María Hesse propose ainsi un petit panorama des nouvelles figures qui révolutionnent à leur manière ces vieux clichés. Elle cite par exemple la série Girls de Lena Dunham, Fleabag de Phoebe Waller-Bridge ou encore I May Destroy You de Michaela Coel. Une façon heureuse de conclure qu’un changement s’opère déjà.

Folles, folles, toujours folles. Si David Bowie se drogue pour se provoquer des hallucinations, on le qualifie d’excentrique, d’artiste. Si Amy Winehouse fait de même, c’est une junkie. Kurt Cobain s’est suicidé parce qu’il était hypersensible. Marilyn Monroe s’est donné la mort car elle était dingue.

María Hesse, Ces mauvaises femmes

Ces mauvaises femmes de María Hesse, traduit de l’espagnol par Éloïse de la Maison, éditions Presque Lune, 168 p., 23€

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