LITTÉRATURE

« Vivance » – La somptueuse errance de David Lopez

Vivance
Vivance © éditions du Seuil

Couronné du prix du livre Inter pour son premier roman, Fief, David Lopez se renouvelle avec Vivance tout en amplifiant son art singulier de trouver de la grâce dans l’ordinaire.

« Vivance, c’est un livre pour lequel j’ai mis beaucoup de temps à comprendre où je voulais en venir  », confesse l’auteur dans une vidéo publiée sur la chaîne YouTube de son éditeur, Seuil. Un aveu aux airs de prophétie, tant il en dit long sur ce deuxième ouvrage, publié cinq ans après un premier opus, Fief, roman d’apprentissage et instantané gracile de la France qu’on dit aujourd’hui périphérique, à mi-chemin entre banlieue et campagne. C’est dans le même décor – territoire énigmatique où se croisent marginaux et petite classe moyenne – que David Lopez installe Vivance, récit de l’errance poétique d’un mystérieux personnage principal, plus observateur que narrateur.

Ce personnage principal, qui n’est jamais nommé, constitue à la fois le fil rouge et l’intrigue du roman. Il s’agit de lui, de son existence, et de ses contours qui se dessinent peu à peu. On le découvre avec la scène d’ouverture, où il s’arrête chez Noël, un type inquiétant, pas vraiment un ami, disons plutôt une connaissance qu’il fréquente. Il est sale d’avoir fait on ne sait quoi, d’avoir beaucoup bourlingué, comprend-on. Il se regarde dans le miroir et voit un homme défiguré par la maigreur. On l’imagine clochard à qui on accorderait l’asile. Jusqu’à ce que, quelques pages plus tard, on retrouve notre héros en train de repeindre les volets de son pavillon, perdu au milieu de nulle part. Pour la peinture, il utilise un pinceau fin. Le genre qui sert plutôt à faire les finitions. Une connaissance lui dit qu’il devrait en prendre un plus gros. Lui ne répond pas, mais se dit que ce qui compte, c’est de peindre, plutôt que d’avoir fini de peindre.

L’essentiel est ici

Après une inondation qui frappe le village, le chat du héros disparaît. Ce dernier se met sur les routes avec Séville, son vélo, qu’il emmène partout. Campe dans les campings municipaux, vit de restaurants, parfois, et de sandwichs achetés en boulangerie, surtout. L’exploration commence ici.

David Lopez n’a pas su tout de suite où il voulait en venir avec Vivance, et cette indécision se ressent à la lecture. La narration se veut lente, le texte vit de ses observations. Le personnage principal, plus spectateur de la vie qui s’organise autour de lui que véritable acteur, scrute les détails, les gestes, les sourires esquissés, les mains qui tremblent. C’est seulement lorsque le personnage se met en marche – il parcourt des centaines de kilomètres à vélo -, que l’on comprend enfin de quoi il s’agira. On arrête enfin d’espérer comprendre qui il est. On ne saura jamais. L’homme ne sera que nos yeux.

Ce périple, qui se dessine comme un faux road-trip, est l’occasion pour l’auteur de décliner ses obsessions. Le héros croise d’innombrables personnes sur sa route, et malgré sa solitude, tisse des liens. Il y a Joséphine, femme de quarante-cinq ans qui en paraît soixante, qui se confie à lui autour d’un café ; un couple de retraités qui mime l’accident domestique pour appeler à l’aide, et avoir un peu de compagnie ; une jeune serveuse un peu gauche à qui on n’a probablement jamais dit qu’elle était belle. Il lui dit qu’elle est belle. Le narrateur glisse d’une rencontre à une autre. Aucune d’entre elle, au fond, ne sera cruciale. Ce ne sont que des gens. Des gens que personne au monde ne semble regarder. Il pose sur eux un œil bienveillant, et toutes ces rencontres ont la grâce d’une première fois. Il donne, au fond, ce qu’il pense que l’on attend de lui. Pose un regard, tend une oreille, parfois une main. Et ce sont tous ces gestes, pourtant si anodin, qui font la beauté.

Vivance de David Lopez, éditions du Seuil, 19,5 euros.

Journaliste

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