Trois ans après la sortie du romantico-pop Garçon formidable, Thibaut Pez est de retour ce 28 octobre avec un nouvel EP tout en contraste et dualité, Soleil Noir. Plus sombre et intime, le chanteur explore plus profondément les doutes de l’âme humaine entre lumière et mélancolie, enrobés de sonorités plus métalliques travaillées avec Apollo Noir. Rencontre.
Si la musique et le chant animaient déjà l’enfance de Thibaut Pez, il lui a fallu un peu de temps pour concrétiser son besoin viscéral d’être artiste. Après un début de carrière en journalisme politique, il se fait doucement mais sûrement rattraper par cette évidence. Et la musique fut… avec un sublime premier titre Que tu meures, auquel succédera un EP Garçon formidable en 2019. Ses textes mélancoliques se mêlent à des mélodies qui appellent la danse. Après quelques reprises – aussi formidables – de ses petites madeleines comme India Song en duo avec The Man Inside Corrine ou Rêves secrets d’un prince et d’une princesse, issue du film Peau d’âne de Jacques Demy, il fait son retour cette année avec Sans logique de celle qu’il écoute depuis très longtemps, Mylène Farmer. Une chanson qui vient s’insérer parfaitement dans la tracklist de ce nouvel EP, Soleil Noir, et lui donner sa couleur plus sombre que le précédent. Avec ce nouvel opus plus intime, l’artiste confirme son univers entre la pop et la chanson française. Rencontre avec un « garçon formidable » que la musique anime au plus profond des entrailles et de l’âme.
Soleil Noir est ton deuxième EP. Le premier, Garçon formidable (2019), abordait la thématique de la rupture amoureuse et des amours gays. Ici, on a le sentiment d’un rapport plus intime à toi et à l’idée de revenir trois ans après avec de nouvelles chansons, et dès le premier titre Boomerang, l’idée d’un retour…
C’est vrai que je me suis plus exploré sur ce deuxième EP. Quand tu commences la musique, les chansons d’amour sont évidemment intimes, mais tu parles de quelqu’un d’autre ou de sentiments dirigés vers une personne. Sur celui-là, j’ai évolué dans mon écriture et j’ai exploré plus profond. J’ai appris à devoir retirer encore des habits.
Tu penses que c’est plus facile de commencer par écrire sur les autres avant de parler de soi ?
Non, je ne pense pas que ce soit plus facile de parler des autres. Je fais assez peu de chansons sur les autres, même quand j’écris « il », c’est moi. Dans la dernière chanson de l’EP, Un géant : « Il avance, il recule, il se donne, se reprend »… Tout ça, c’est moi. Mais c’est plus facile de parler d’un sentiment qui est dirigé vers quelqu’un d’autre. Que tu meures, la première chanson que j’ai sortie, ça disait « Mon amour parfois, j’aimerais que tu meures » et d’une certaine manière, c’est du « tu ». Et là, la première chanson qui ouvre l’EP, c’est Boomerang, qui parle d’addiction, de fuir son moi profond, de courir pour se retrouver et qui aborde la santé mentale. J’ai mis du temps à l’écrire parce que ça suppose de s’ouvrir complètement et de ne pas avoir peur de ce que les autres vont en penser. Mais c’est plus dur de parler d’autre chose que d’amour. Pour tous les artistes, c’est différent, mais la chanson d’amour est assez simple à faire. Tu pars de ce que tu ressens, tu trouves des métaphores et c’est universel. Tout le monde peut s’y retrouver. Je pense que la chanson plus personnelle sur la santé mentale, par exemple, est plus difficile. Tout ce que je sais est une chanson que j’ai écrite il y a plus longtemps et qui sous ses atours très pop parle de doutes, d’impossibilité d’avancer avec une mélodie assez joyeuse. Finalement quand je dis « Ce qui existe en tout hésite, ce qui hésite seul existe », c’est moins débile que ça n’y paraît comme chanson.
Toute la thématique de cet EP, Soleil Noir, est située quelque part entre le fait de briller et d’être rattrapé par ses ombres finalement, non ?
Le titre Soleil Noir a été écrit comme une chanson de rupture…
… Et pourtant l’EP prend son nom…
Je l’ai choisi comme nom pour l’EP parce qu’il a plusieurs sens. Le soleil noir, c’est celui qui nous retient, que l’on garde au fond du ventre. Il nous empêche de faire des choses, mais nous projette aussi dans d’autres réalités. Le soleil noir que j’ai au fond du ventre me donne envie de faire de la musique. Il me met parfois à terre parce que je suis une personne très mélancolique et en même temps, il me projette et me fait faire de belles choses grâce à ça. Quand j’ai écrit cette chanson, je n’ai pas forcément pensé à ça, mais quand j’ai dû nommer l’EP, je me suis dit que c’était un bon titre pour décrire l’ambiance du disque.
Tout est un contraste, entre la pop qui est quelque chose de très lumineux et la mélancolie des textes, c’est ça ? C’est la thématique du double…
C’est un bon résumé. Déjà avec Que tu meures, tout était dit. Il n’y a pas plus drama, mais en même temps, c’était sur un beat un peu rapide et électro. C’est une chanson pour faire danser, comme Garçon formidable qui est très mélancolique quand on écoute vraiment le texte. La musique donne une chanson sur un mode majeur, un peu « cui-cui les petits oiseaux » dans la mélodie. Soleil Noir ce n’est pas le cas, c’est ma première ballade ultra drama sur un mode mineur qui est vraiment triste. Comme quoi, je continue d’évoluer. S’il y a une personne qui a influencé cet EP, c’est Mylène Farmer. Elle a déjà écrit des textes qui parlent de son intérieur qui s’écroule et Soleil Noir est une ballade assez farmerienne dans la mélodie, dans la thématique. Même Boomerang d’ailleurs, mais c’est pas fait exprès. Et quand on y réfléchit, Tout ce que je sais ressemble à Libertine. Je ne m’en suis pas rendu compte et après, il y a une reprise de Mylène. Quand je l’ai terminé, je me suis dit : c’est dingue !
Les notes de début de Soleil Noir ressemblent un peu à India song aussi, que tu as d’ailleurs reprise l’an dernier en duo avec The Man Inside Corrine…
C’est peut-être dans le balancement rythmique. C’est du piano, donc rythmiquement il y a ce balancement qui rappelle India song. Pour moi, c’est peut-être la plus belle chanson du monde. Les mots de Duras, la voix de Jeanne Moreau et une sublime mélodie de Carlos d’Alessio, c’est un peu la chanson de tous les gens qui aiment le bon cinéma, la bonne littérature.
Quand s’est faite ta rencontre musicale avec Mylène Farmer ?
Tout petit. En 1996, ma meilleure amie Clémence me dit : j’ai un super disque, il faut que tu l’écoutes. Sur la pochette argentée, Mylène Farmer écarte les jambes en s’asseyant, la main sur le sexe, avec un pétard à la place des cheveux. Tout pour me plaire. Je suis tombé raide dingue et on l’a beaucoup écouté ensemble. Après Innamoramento, j’ai complètement arrêté de suivre ce qu’elle sortait même si je m’y suis remis depuis. Ce n’était plus la même époque, je n’avais plus le même âge, j’écoutais du rock. J’ai continué d’écouter ce que j’avais aimé. C’était toujours le même plaisir, parce que les œuvres que tu as aimé enfant, comme Peau d’âne, tu recrées des émotions d’enfance et c’est pour ça que c’est aussi beau.
C’était assez évident pour toi d’en faire une reprise ?
Oui et Sans logique est une de mes préférées.
Pourquoi ?
C’est une chanson qui parle de dualité, encore, et qui est brillamment composée. Elle a un couplet en mineur et un refrain en majeur. Il y a un changement de tonalité au cours de la chanson qui la rend un peu inquiétante dans sa composition. J’ai toujours trouvé que c’était une chanson géniale. Et elle a un côté un peu fan favourite que j’aimais bien. Je me suis dit en la reprenant que c’était une façon de me lier avec la communauté des fans de Mylène. Après, quand je l’ai sortie j’ai reçu beaucoup de félicitations, mais quelques messages d’insultes parce que c’est une communauté qui est entière. Je savais que ça se passerait comme ça. Et je suis content, car il y a des gens qui sont venus me voir en concert et m’ont découvert grâce à cette reprise, et elle a bien marché en stream.
Tu fais de la musique depuis l’enfance ?
J’ai commencé à quatre ans. Je faisais du piano au conservatoire. J’adorais chanter, j’allais dans toutes les chorales de ma ville. À l’âge de cinq ans, j’ai tenu le rôle de l’oiseau dans Émilie Jolie. J’avais un super costume bleu électrique abominablement mal fait. J’étais trop fier. Après, j’ai continué la musique, adolescent, et j’ai fait de la basse et un peu de guitare. Vers 20 ans, j’ai complètement arrêté, je me suis plongé dans mes études de médiation culturelle et puis après de journalisme. Ça m’a rattrapé à 25 ans, après une rupture. Elle m’a ramené à la musique et j’avais déjà réussi ce que mes parents m’avaient demandé, à savoir être journaliste, j’étais un peu plus tranquille dans ma carrière. L’écriture de chansons est venue rapidement. J’avais déjà écrit quelques chansons au lycée, mais c’était en anglais… Le cliché du bébé rocker ridicule. J’ai commencé à écrire en français et à chaque fois que j’écrivais, la chanson suivante était meilleure que la précédente. Que tu meures est arrivée et ça a fait un déclic. Il fallait que je la sorte.
« Je pense que je suis un peu long à la détente, mais une fois que j’ai embrassé un truc, j’y vais à fond. (…) À chaque fois, je me retiens et au bout d’un moment, je suis sur le bord de l’explosion et ensuite, je prends mon pied. »
Thibaut Pez
Et tu continuais d’être journaliste politique à ce moment-là ?
Oui, j’étais en meeting de François Fillon et je faisais des notes vocales : « Mon amour, j’aimerais que tu meures ». Ça donnait des situations cocasses. J’ai même apporté mon ordinateur dans mon ancienne rédaction pour faire de la production, à côté de mon ordinateur de travail et je le fermais quand un collègue passait. C’était dévorant. Ça a été un peu aventureux, mais j’avais vu le bout de ce que je voulais voir dans le journalisme et ce n’était pas très épanouissant. Tu déjeunes avec des personnes dont tu ne partages pas les idées et tu écris des choses contre eux, la plupart du temps. Tu as toujours le sentiment de te faire embobiner par les gens avec qui tu parles. Je ne suis pas assez cynique pour le journalisme politique. Je suis trop sensible et je n’avais pas envie de faire partie de ça. Je voulais créer et chanter l’amour. J’ai toujours eu envie d’être artiste. Ça m’a juste pris du temps pour me l’avouer. C’est marrant parce que j’ai fait mon coming-out relativement tard et le « coming-out » à la musique, enfin, le fait d’embrasser la musique, c’est venu tardivement, tout comme ma sexualité. Je pense que je suis un peu long à la détente, mais une fois que j’ai embrassé un truc, j’y vais à fond. J’ai observé que c’était un peu similaire. À chaque fois, je me retiens et au bout d’un moment, je suis sur le bord de l’explosion et ensuite, je prends mon pied.
Tu disais que plus jeune, tu avais écrit en anglais et finalement c’est le français que tu as choisis…
Je n’ai pas le choix. Je parle bien anglais, mais je n’ai pas un bon accent et surtout écrire en anglais, ça donnerait des platitudes. Mon talent réside dans le fait d’écrire en français. Je ne me suis pas longtemps posé la question et plus tu travailles, plus tu progresses. C’est mon mode de communication. Souvent, les artistes trouvent que ça ne sonne pas, mais je ne suis pas d’accord, je pense que tu peux faire sonner avec de la technique vocale. Le français, c’est une langue où pour dire « j’ai envie de faire l’amour avec toi », tu peux utiliser une métaphore. Tu peux le dire par un effet direct, mais globalement en français, tu ne peux pas dire un A est un A. Un A est la lettre avant le B. Alors qu’en anglais “A is a A”. Ça force à faire des paroles plus complexes et plus imagées. La chanson française vaut beaucoup pour ses textes. Après, je ne me suis pas tout de suite tourné vers de la variété, cet EP est aussi très pop. Plus le temps passe et plus je me dis que ce qui compte, c’est la mélodie et les textes. Je mets moins de prod et je fais plus de piano-voix pour mettre les textes en valeur. J’ai mis du temps à me l’admettre, mais c’est de là que je viens.
Aller vers quelque chose de plus sobre ?
Il a fallu du temps pour assumer complètement ce que je fais. Longtemps, la variété a été considérée comme ringarde. Je marche sur ces deux genres, la pop et la variet’, c’est vraiment 50/50. Donc, en concert, l’idée est de pouvoir faire les deux.
Et il y a tout l’aspect queer de ton univers musical aussi…
Mon instinct au départ ça a été d’être un artiste pop, car ma musique s’adresse principalement à la communauté gay et le langage pop est le langage que l’on connaît le mieux. Mais il faut que j’aille vers ce qui me distingue et ce qui me définit, donc ça se situe entre les deux ! Et maintenant je ne risque rien, quand tu écoutes des artistes comme Juliette Armanet ou Clara Luciani, c’est aussi de la variété.
D’ailleurs il y a déjà une évolution entre tes deux EPs…
Soleil Noir est plus dark et ma voix a changé parce que j’ai pris des cours. Et au niveau des productions, pour avoir cet aspect-là, j’ai voulu des synthés plus tranchants. Du côté des batteries, Apollo Noir, avec qui j’ai travaillé sur l’EP, utilise des batteries faites avec des synthés modulaires pour donner des sons très métalliques. Ce n’est pas une batterie, mais ce sont des éléments rythmiques qui donnent cette couleur dark et magique au son. C’est vraiment grâce à Apollo noir.
Tu commences la préparation d’un premier album ?
Pas pour le moment. J’ai les chansons pour le faire mais il faut que je trouve les bons partenaires. Je sais déjà ce que j’y mettrai parmi les chansons déjà sorties, en retravaillant les prods. Ma stratégie va être de sortir des titres à l’avenir. Les gens écoutent surtout des singles.