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Rencontre avec Foé – « Je pense avoir fait du mieux que je pouvais pour apporter quelque chose qui peut rester dans le temps »

Foé
© Lise Cleo

Quatre ans après la sortie de son premier album Îl, Foé a pris son temps pour offrir un sublime second opus plus maîtrisé et aérien : Paradis d’or. À l’occasion de sa sortie le 7 octobre dernier, Maze s’est entretenu avec le chanteur. Rencontre.

À l’heure des tubes, il est rare pour un chanteur aux prémisses de sa carrière de prendre le temps de construire un véritable album qui s’écoute comme une histoire. Soutenu par son label Tôt ou tard, Foé a pu se servir de ces quatre années écoulées pour créer Paradis d’or, un second album suspendu dans le temps d’une cohérence musicale magistrale tout en nous contant son histoire d’amour.

Tu réussis brillamment le passage, souvent difficile, du second album, quatre ans après Îl quelle a été la genèse de Paradis d’or ? 

Le passage du second album s’est fait assez naturellement. Après le premier, on m’avait fait beaucoup de retours sur la chanson française alors que ce n’est pas particulièrement ce que j’écoutais. Je me suis alors plongé dans cet univers. Je m’en suis nourri, et je l’ai digéré. J’adore les artistes qui essaient de se renouveler et de proposer quelque chose de nouveau. Sur Îl, je racontais beaucoup d’histoires de personnes de mon entourage et je me suis dit que ce serait quand même bien d’essayer de parler vraiment de moi.

Qu’est-ce qui se passe dans ma vie à ce moment-là ? Je suis en couple avec une fille depuis longtemps, je voulais parler de cette relation, car c’est ce qui me touche le plus dans ma vie actuelle. Je suis partie de ce point-là et j’ai développé un fil conducteur sur le début de cette relation, les moments un peu plus compliqués puis j’ai créé un fil rouge au niveau de la musique et de l’orchestration – notamment, des sonorités qui se ressemblent entre les chansons. J’ai voulu être le plus cohérent possible. 

C’est ce qui est assez surprenant justement, cette cohérence, qui n’est pas habituelle chez les artistes qui débutent. Souvent, on doit sortir des tubes. Paradis d’or n’est pas complètement un album concept mais tu racontes une vraie histoire qui s’écoute du premier au dernier titre. Et même à travers le déroulé de ton album entrecoupé de trois interludes et de ce morceau instrumental final « I-O »… Comment en es-tu arrivé à cette construction ? 

Comme une histoire, j’avais envie que ça se construise un peu par épisode et par périodes. Les interludes aident à cela. Car oui, dans mon premier album, j’avais fait des titres et on se disait, celui-là est fort, on va le placer à tel moment… Là, je suis parti du début de l’histoire pour raconter. D’ailleurs pour « Je brûle », les premiers mots m’ont été inspirés par Lise ma copine qui m’a aidé à écrire ce texte. 

La suite a découlé de cette première étincelle et de cette construction par épisodes où au début tout est beau, et au fur et à mesure, on vit des passages plus difficiles. Je pense que dans aucune relation tout se passe absolument bien. C’est impossible. Le reste s’est fait aussi avec le temps. J’ai pu le prendre alors que l’on est dans un univers où tout doit aller vite. 

Tous les artistes sont en quête de sortir un single le plus rapidement possible pour atteindre un certain quota… J’ai la chance d’être bien entouré avec Tôt ou Tard, Faubourg 26, Zouave. On m’a donné ce temps qui est la chose la plus précieuse au monde. J’ai pu faire une vraie proposition. En tant que jeune artiste pouvoir faire un album, c’est énorme alors pouvoir en faire deux, c’est fou ! Il fallait que je me saisisse de cette chance pour réaliser une vraie construction presque cinématographique. 

Il y a quelque chose d’assez frappant dans cette construction. Tu parles donc de ton histoire personnelle, qui devient universelle, car on peut tous se reconnaître dans cette relation amoureuse. Et en même temps, tu débutes ton album par le «  je  » avec « Je brûle » et tu le termines par « Adieu encore », comme une adresse à ton public… à nous qui t’écoutons. 

C’est vrai que c’est un heureux hasard. À la base, j’ai écrit cette chanson dans le sens où une relation ne se termine pas tant qu’il y a de l’amour et cette chose qui fait que l’on ne peut pas concevoir la vie sans cette personne. Ces moments où on se dit, c’est fini, puis non ce n’est pas possible, car c’est trop beau. 

Et c’est vrai que c’est la dernière chanson de l’album donc ça devient un beau message à délivrer aux gens. « Adieu encore », on se quitte une deuxième fois, et on se retrouvera peut-être pour la suite. Ou pas… Ça dépend des contrats (rires). Et même si le texte ne parle pas de ça, le titre peut exprimer ce message pour le public. D’ailleurs je l’ai un peu tourné comme ça sur les réseaux sociaux, quand je l’ai teasé avant la sortie. 

Musicalement, c’est un véritable mélange entre des sonorités très modernes et des inspirations de chanteurs français que tu as pu écouter. J’ai reçu ton album comme un état des lieux de la chanson française, comme une imprégnation de tout ce qui avait existé… 

Oui, c’est comme ça aussi que j’ai pris la chanson française même s’il y a des artistes que j’ai moins écouté. Actuellement, je suis sûrement le plus gros fan de Brassens en France, mais j’ai aussi découvert Michel Berger, Brel, Barbara…

Bon, Brassens, on ressent un peu moins son influence… (rires)

Non, je n’ai pas fait de guitares sautées, mais je m’en suis beaucoup nourri dans la globalité, mélangé à ma culture plus anglo-saxonne avec Alt-J ou des artistes plus actuels comme Harry Styles que j’aime bien… Mais également Elton John, les Beatles, etc. Ce que j’ai récupéré à la chanson française, c’est plus l’orchestration de la chanson et les arrangements musicaux où on va retrouver beaucoup de voix, de cordes, de piano, de batterie acoustique. C’est un album que je peux appeler rétro-2022. 

Aujourd’hui, on a des techniques qui nous permettent d’avoir une vraie construction du spectre auditif. On a de la basse qui est aussi équilibrée que les aigues et que les fréquences moyennes. Et c’est pour ça que ça sonne 2022, mais je pense que si j’avais fait cet album en 1980, il aurait sonné exactement pareil que les chansons de l’époque. C’est surtout dans l’arrangement que la modernité s’est fait plus que dans les chansons, selon mon avis. 

L’autre aspect marquant de ton album, c’est le côté aérien, dans les mélodies et l’orchestration, et qui atteint son paroxysme dans le morceau « Vol 17 » alors que dans un même temps tu abordes des thèmes très organiques, évidemment « Je brûle », mais aussi plus terrien. Et on retrouve cette dichotomie dans ta voix qui est très grave et chaude mais qui peut monter d’un coup dans des envolées très lyriques…

C’est un contraste que j’ai voulu développer ces dernières années puisque sur le premier album, j’avais sorti un titre qui s’appelle « Nuria » et on a avait relevé ces envolées lyriques… Quand on fait un premier album, on fait un point sur ce qui ne marche pas ou au contraire. Ces envolées et ce côté aérien, c’était un point positif du premier album qui a construit cette lignée de chansons. 

Et ce qui apporte ce côté aérien, ce sont aussi les voix des chœurs derrière. J’ai fait appel à plusieurs chanteurs, notamment Eugénie et Anna Majidson qui sont venues pour créer des chœurs et ça a contrasté avec ma voix grave pour obtenir cet aspect plus en voltige. 

On a évoqué tout à l’heure quelques unes de tes référence musicales, mais la pratique de la musique, comment elle est arrivée dans ta vie ? 

J’ai commencé le piano à huit ans, mais pas de manière très saine. Les parents veulent que l’on fasse des activités quand on est petit. J’ai pris ces cours de piano avec une prof très classique. J’ai commencé la guitare vers mes douze ans en autodidacte et j’ai préféré pouvoir jouer les chansons que j’aimais et écoutais. J’ai trouvé un prof qui était super et qui m’a poussé à jouer mes chansons sur scène devant un public. Et bizarrement, j’ai apprécié. Je trouve ça toujours très étrange de se dévoiler devant autant de gens. 

C’est de la timidité ?

Non, mais j’ai eu une éducation où tout doit rester très secret dans ma famille. Ma grand-mère a toujours été discrète sur ses problèmes personnels. Ça a développé ce truc de discrétion chez moi où j’ai envie que mes problèmes restent pour moi, et même mes avis. Je ne suis pas pour dire à quelqu’un comment il doit penser. Se retrouver devant des gens et parler, se dévoiler, raconter ses relations amoureuses, c’est quelque chose que j’apprécie dans le fond. Et c’est comme ça que j’ai appréhendé la musique. 

Par la scène ?

Oui, par ce stress qui monte, qui peut être pesant, mais qui est positif. J’ai commencé à faire des compositions et j’ai continué la guitare jusqu’à mes 18 ans. Et quand j’ai rencontré mon producteur Chad (Boccara), il m’a dit : qu’est-ce que ça pourrait donner tes chansons au piano ? Lui, il a préféré ces versions-là, donc je suis partie vers cette direction. Mais avec ce second album, je reviens un peu à la guitare, c’est quand même mon premier amour d’instrument. 

Ta pratique musicale est finalement un va-et-vient entre le piano et la guitare… On t’impose le piano et toi, tu veux la guitare ? 

Mais après, c’est vrai que mon projet, c’est quand même le piano. Il y a quelque chose de plus complet dans cet instrument, ce truc d’harmonie alors qu’on est plus limité avec une guitare. C’est tout un dilemme (rires).

D’autres artistes que ceux cités précédemment ont pu avoir une influence sur ta musique avant cette découverte de la chanson française ? 

Plus jeune, j’écoutais AC/DC, les Rolling stones, les Beatles. J’écoutais aussi ce qui était tendance : Stupeflip, Fauve, à une période, comme tout le monde et Coldplay. J’écoute beaucoup de choses en musique, même si là ça s’est plus dirigé vers la chanson. Aujoud’hui, j’écoute à fond Juliette Armanet, Clara Luciani… Je trouve ça très intéressant à avoir cette recherche musicale. 

Selon moi, musicalement, ces dernières années, tout s’est appauvri. Ce n’est pas forcément une critique, mais un constat, une réalité. Je ne pense pas avoir fait une révolution musicale, mais je pense avoir fait du mieux que je pouvais pour apporter quelque chose qui peut rester dans le temps. Si on me demande : qu’est-ce que tu veux que les gens disent de ton album ? Je voudrais qu’ils disent qu’il est intemporel. 

Et c’est ce qui se ressent dans la richesse musicale de ton album… 

Après, c’est selon les goûts et les approches de chacun, mais j’ai essayé. Je suis ouvert à tout. Ma proposition artistique, elle est dans la recherche musicale. 

Comment tu composes, d’abord les paroles ou la musique ? 

La vraie difficulté de ma musique, c’est de m’y mettre. J’ai des milliers de mémos sur mon téléphone où j’enregistre tout ce qui me passe par la tête. Et le plus dur, c’est d’essayer de faire une espèce de derush de tous ces moments et d’en faire des chansons. Ça sert à rien de donner des méthodes, car chacun a la sienne. La vraie vérité d’un album c’est de se faire plaisir et de le ressentir au moment où on le fait… et d’y penser tout le temps. 

Quand tu as commencé, avec ton premier album, tu aurais pu te diriger vers la langue anglaise ou le français s’est imposé naturellement ? 

Au tout début, je chantais en anglais. Et quand j’ai rencontré Chad, il m’a demandé : ça ne te dérangerait pas de chanter en français ? Et à partir de là, j’ai commencé à écrire en français. Ça a pris du temps pour avoir des textes construits, car je trouve que le français peut très vite être cheap

C’est plus difficile pour toi ? 

Oui, c’est compliqué de construire quelque chose de beau, car la langue française est beaucoup plus incisive que l’anglais qui sonne plus rond. Même si l’anglais est très fade, c’est beau directement. Or, quand on arrive à bien manier les mots en français, ça peut avoir un impact plus grand en France. Je me suis entraîné, j’essaie de me donner un maximum dans les textes, d’associer la sensibilité pour trouver les bons mots. Tout le monde essaie de tendre vers la meilleure écriture en français, mais c’est une langue dure dans ces tournures de phrases, son vocabulaire. Aujourd’hui, je m’y sens bien.

Ton pseudonyme est un hommage à l’auteur Daniel Foe, qui a écrit Robinson Crusoé, tu es influencé par des références littéraires qui se retrouvent dans ton écriture ? 

Mes références sont plutôt du côté de séries, de l’audiovisuel, et de l’aspect cinématographique. À terme, j’aimerais beaucoup travailler dans la musique à l’image ou les musiques de films. Et ce nom de Foé est plus anecdotique, je ne lis pas beaucoup ; mais je suis passionné de séries.

Certaines oeuvres audiovisuelles en particulier ont pu avoir un impact sur ta musique ? 

J’adore ce qui est contemplatif. Mais sinon, j’aime beaucoup le cinéma de Wes Anderson où c’est très fixe, ce sont des constructions qui me parlent. Ce truc millimétré, ce travail d’orfèvre chaque élément dans le plan n’est pas là par hasard. C’est ce que je veux faire dans mon album, si j’utilise quelque chose, c’est parce que ça a un vrai intérêt pour le disque. Ce réalisateur m’inspire plus dans la démarche qu’il a de faire ses films. 

Mais, en réalité, à force de me nourrir de beaucoup de choses, c’est dans mon inconscient. Je fonctionne un peu comme ça. Je vois beaucoup d’expositions aussi. Je ne peux pas forcément citer des œuvres en particulier, c’est très difficile de décrire son œuvre, à partir du moment où ça appartient au domaine du subconscient et à quelque chose qui est plus grand que nous, selon moi, c’est dur de poser des mots dessus. 

Pour ce second album, tu as en plus participé à tout le processus de création, jusqu’au visuel ?

J’avais envie d’aller plus loin et comme je réfléchis à tout, j’avais du mal à donner mon travail. J’avais des idées que j’ai voulu mettre en images, du mieux que je peux. Je n’ai aucune prétention de réalisateur. Je voulais me faire plaisir. On est parti au Maroc tourner « Lemonade » et « Le temps court ». Ça a été une belle épopée, les règles ne sont pas les mêmes qu’en France et on a eu deux petits soucis avec les autorités locales. Quand je suis arrivé avec le disque dur en France, j’étais soulagé. Sur la pochette, c’est Lise ma copine qui a fait les photos et elle est aussi dans les clips. 

Ton couple, c’est une vraie histoire artistique à deux autour de ce projet finalement ? Ce n’est pas seulement le thème de l’album…

Elle est artiste et a une vraie sensibilité artistique. C’est rare de rencontrer quelqu’un qui a un goût aussi similaire au sien. C’est inestimable. J’ai rencontré aussi Marceau qui m’a aidé à réaliser ce second disque. J’ai toujours construit en groupe même quand j’étais jeune, j’ai du mal à concevoir un projet complètement seul. Pouvoir faire participer tous les gens que j’aime dans cet album, ça lui donne une autre dimension.

Tu as hâte de retrouver la scène ? 

Oui et non… (rires). Je suis un grand stressé. Sur la première tournée ça m’a procuré beaucoup de plaisir, mais aussi d’angoisses. Après, si je reviens, c’est que j’en ai envie et j’espère que ça va bien se passer. Le fait de repartir en piano voix avec quelque chose d’assez épuré, ça va m’enlever un certain poids des épaules. Sur la première tournée, c’était de la machinerie avec beaucoup de contraintes techniques. Je veux juste quelque chose de simple où quand j’arrive sur scène, je me sens plus léger. J’ai hâte de voir cette évolution. 

J'entretiens une relation de polygamie culturelle avec le cinéma, le théâtre et la littérature classique.

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