Artiste plasticien, Julien Prévieux prend le temps de détourner avec dérision l’exercice de la lettre de motivation, censée s’accompagner d’un CV dument rempli. Démotivé après une recherche d’emploi qui ne donna aucun fruit, il décide de répondre par la négative aux annonces reçues. Réédition de ce livre aux Éditions 1001 nuits.
Quelle est votre implication pour le job proposé ? Présentez-vous les qualités adéquates ? Répondez-vous au besoin de l’entreprise ? Êtes-vous réellement motivé ? Brisant le pacte de l’embauche, Julien Prévieux écarte les propositions comme d’autres y répondent.
L’artiste interroge les mécanismes de l’emploi, les rémunérations de stages, les périodes d’essai, le montant du SMIC en ne se fixant qu’une seule règle : il n’écrira plus que des lettres de non-motivations en stipulant qu’il décline les propositions de postes proposés. Ainsi, il déplace la logique des petites annonces. À l’attente de gens prêts à se soumettre aux exigences de l’embauche, il préfère refuser ces offres, alors même que le refus est la possibilité de l’employeur et non du postulant. Voici donc une inversion carnavalesque des rôles de notre monde contemporain.
Si « motivation » désigne à la fois ce qui déclenche l’action de postuler ainsi que toutes les justifications et motifs qui expliquent cet acte, Julien Prévieux motive sa démotivation. Il rend caduque cette logique de proposition/réponse en énonçant : « Je vous en prie ne m’embauchez pas ! »
Annonces et réponses
Ce livre d’art fait s’intercaler petites annonces drôlement étranges et réponses cocasses de l’artiste. La littéralité de l’exercice donne un humour certain à son écriture ainsi qu’une pointe de désespoir, laissant entrevoir toute l’absurdité et la condescendance de l’emploi.
L’artiste juge, tout en respectant les codes formels de la correspondance, les emplois proposés, les techniques de recrutement, le ridicule des salaires. Au travers de ces lettres fuse un éventail de critiques des techniques managériales : « ordre contradictoires » ou « inadaptation des horaires au rythme biologique ». Pour chaque lettre, néanmoins, il emprunte des tons différents. Chaque lettre est l’occasion d’un personnage différent : critique, enjoué, romanesque, désespéré, révolté, retraité, humoriste.
Julien Prévieux expérimente avec étonnement le monde de l’emploi pour en tracer un portrait railleur. « Je n’ai jamais été champion », voilà le sel de son art : ne pas être celui qui remporte le poste à la première offre, lui donnant ainsi l’occasion de faire un pas de côté pour observer autrement les rouages de ce milieu. Il excelle autrement et dans un autre domaine mais non sans humour et virtuosité.
Lettres de non-motivation de Julien Prévieux, Editions 1001 nuits, 2002.