Le présent impossible est le premier recueil de poème de Dominique Ané, déjà auteur compositeur interprète depuis maintenant trente ans. C’est sans grande surprise que l’on découvre son humble aspiration à la poésie.
Les chansons de Dominique A s’attachent à ce qu’il y a de plus simple et en même temps de plus profond dans la nature humaine : elles célèbrent le mystère de l’existence, donnant la part belle aux émotions qui nous y guident et parfois nous y perdent. Malgré l’évidence d’un désir assumé et la modestie de l’approche, Dominique Ané pose la question de sa légitimité au travers de nombreux textes du recueil. Si bien que la poésie devient parfois le thème principal des poèmes ; comme s’il éprouvait le besoin de se confronter de façon directe à ce nouveau genre dont il n’a pas l’habitude.
Ça ma paraît aujourd’hui si simple
d’écrire des poèmes
qu’un jour c’est entendu
ça se compliquera
Dominique A, Le présent impossible
La strophe sonne presque comme une excuse. Est-ce que la poésie doit se compliquer ? Peut-être la vision qu’à le poète de son art pourrait s’affiner, s’approfondir…
Mais le poème, lui, saura rester simple comme semble le vouloir le chanteur. Son style est très direct, spontané, plein de douceur et parfois de maladresse – voulue ou volontairement ignorée ? En tout cas, un certain lâcher-prise est à l’œuvre, qui amène de belles réflexions, des questions touchantes, des images pleines de justesse.
La célébration du quotidien
C’est un parti-pris que partagent de nombreux poète contemporains ; chercher la beauté dans la familiarité du réel, l’éternité dans les instants du quotidien. Il s’agit de montrer l’habituel sous un nouveau jour, d’agencer les détails insignifiants dans un Tout qui fait sens autrement.
Nous, nous sommes pris / dans l’élan des jours / l’étau des tâches / inquiets / affairés
seulement apaisés / par la présence / du chat qui dort
et dès qu’il sort / des heures durant / nous l’espérons
Dominique A, Le présent impossible
Dominique Ané choisit d’interroger les choses en apparence banales. Cela peut être sa rencontre avec un sans-abris, une phrase de rupture, le caprice d’un enfant… Force est de constater que les révélations sont souvent cachées tout près de nous. La poésie est d’abord une attention particulière portée au monde.
Le poète garde-fou
Heureusement, il y a quelques poèmes qui font un peu plus que tout cela, qui bousculent gentiment, contestent sereinement l’ordre établit. Car c’est surtout cela le rôle d’un poète : mettre en question la légitimité de l’état actuel du monde, plutôt que la sienne propre. La poésie c’est parfois la création d’un contre-récit, la première étape pour repenser le réel en interposant devant lui un autre horizon.
Dominique Ané l’a bien compris, quand il nous montre comment le système éducatif passe à côté des enjeux primordiaux de l’existence, dans le poème « Terrible ennui ». Ou encore, quand il formule une critique simple mais efficace du droit de propriété privée avec le poème bien nommé « Non-propriété », qui donne un sens particulier au titre du recueil, le présent impossible étant aussi celui que l’on ne nous permet pas de vivre.
Il n’est écrit nulle part
sur le sol
que des pieds ne peuvent s’y poser
La terre n’a pas de mots
pour barrer un chemin
La route accepte toute empreinte
mais ne garantit pas
qu’elle y demeure
Et nous serions
riches d’un sol ?
Riches ou pauvres
nous partons un jour
sans rien
à peine si le sol
s’en aperçoit
Dominique A, Le présent impossible
Une agréable lecture, ponctuée par les dessins d’Edmond Baudouin qui, même s’ils sont intéressants, n’établissent pas un réel dialogue avec le texte — ils ont simplement une valeur illustrative. L’avenir nous dira si le chanteur parvient à développer un style poétique plus dense, à créer une identité plus forte : en tout cas, la voie est maintenant grande ouverte.
Le présent impossible, de Dominique Ané, éditions L’Iconovlaste, 128 p. 14€