CINÉMA

Festival Jean Carmet 2022 – Rencontre avec Alséni Bathily et Nathan Gruffy

Festival Jean Carmet 2022
Alséni Bathily et Nathan Gruffy par Léïna Jung ©

J’avais un camarade est le quatrième court-métrage de Janloup Bernard, diplômé de la Fémis. Présenté au Festival Jean Carmet à Moulins, le réalisateur y explore l’influence sociale. Entre élitisme familial et avidité d’inclusion, Alséni Bathily et Nathan Gruffy livrent une prestation réussie. Rencontre.

À son arrivée dans un prestigieux lycée militaire, Woyzeck, un fils d’officier, rencontre Bakary, un élève d’origine modeste avec qui il va partager sa chambre. Lors d’une nuit d’intégration, les deux garçons vont tenter de trouver leur place au sein de la famille traditionnelle, un groupe d’élèves influents.

Parlez-moi des personnages que vous incarnez, qui sont-ils ?

Alséni  : Mon personnage s’appelle Bakary. Il fait sa rentrée dans une école, plus particulièrement dans un lycée militaire. Il a de très bonnes capacités, mais il a surtout une immense envie de s’intégrer.

Nathan  : Victor Woyzeck, mon personnage, vient également d’entamer ce parcours. Pour lui, ça a toujours été une évidence d’intégrer cette école. Toute sa famille y est passée. Le problème, c’est qu’il se questionne sur son envie d’être là. Son père venant tout juste de disparaître dans un conflit armé, il se retrouve perdu entre le deuil et la fierté de ses camarades. La bravoure de son père défunt est honorée de tous.

Quelle trajectoire vous a amenés, chacun, sur ce projet ?

Alséni  : La mienne s’est faite à partir du long-métrage Gagarine de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh, sorti il y a deux ans. C’était une belle expérience de tournage, sur laquelle je me suis retrouvé grâce à un ami. C’est lui qui avait été casté à l’origine. Il m’a parlé de ce projet, m’a encouragé à me présenter, et après un processus d’audition de deux mois, j’ai été pris. À la suite de ce film, je suis entré en agence et c’est à travers ce biais que Janloup m’a contacté.

Nathan  : Je sais que je veux faire ça depuis tout petit, donc pour moi cela veut dire « depuis très longtemps ». Je me souviens que petit, je regardais des films avec ma sœur le soir, que je décidais de revoir le lendemain matin. Les coulisses et secrets de tournage également, j’aimais déjà beaucoup ça. Pour moi il n’y pas vraiment eu de déclic, j’ai toujours voulu faire ça. Pour ce rôle-ci, c’est mon agent qui m’a contacté, j’ai passé un premier essai, non concluant. J’ai été rappelé pour une seconde audition, où j’ai donné la réplique à Alséni, jusqu’à la conclusion finalement joyeuse  : j’avais le rôle !

Festival Jean Carmet 2022
Nathan Gruffy par Léïna Jung ©

Dans quoi puisez-vous pour incarner vos personnages ? Vos ressemblances ?

Alséni  : Je ne me sens pas proche de mon personnage, non. Réflexion faite, si, mais seulement dans le fait que Bakary est très déterminé. Quand il veut quelque chose, il se donne tous les moyens d’y parvenir. Il se donne à fond pour l’avoir, il va jusqu’au bout. Je me retrouve un peu là-dedans.

Nathan  : En premier lieu, j’aurais répondu non aussi. Mais en fait, ce que je trouve très important, et je crois que c’est Tahar Rahim que j’avais entendu dire cela dans une interview, c’est que pour trouver son jeu, il cherche un point commun entre lui et ses personnages. Je pense que je lui ai un peu piqué sa méthode, ou du moins que je l’applique. Ça me parle de trouver cette chose, qui me permettra de me connecter à celui que j’interprète. Ici, je dirais que c’est la timidité sociale qui s’est présentée comme commune. Sa façon de se mettre en retrait pour observer les choses.

Diriez-vous qu’il y a une leçon ou une morale à tirer de cette histoire  ?

Alséni  : Je ne saurais pas dire quelle est la morale de l’histoire. Ce dont je suis sûr, c’est que cette histoire fait réfléchir. 

Nathan  : Je suis d’accord. Et puis j’ai l’impression que chaque personne pourra avoir un point de vue différent sur cette morale justement.

On parvient tour à tour à s’identifier à vos deux personnages  : d’une part à travers ce thème de l’intégration sociale, de l’autre avec cette idée que le piston et la reconnaissance familiale protègent, en quelque sorte. Finalement, on se demande même qui l’on préfère entre Bakary et Victor, puisqu’on peut leur faire des reproches à tous les deux. Je pense notamment à la scène de fin dans la cafétéria…

Nathan  : Effectivement. Ma version des choses c’est que… Victor allait faire un pas vers Bakary, mais ce qui le retient en fin de compte, ce sont ces quatre mecs qui arrivent. L’influence sociale exerce sa force à travers des cadres très conservateurs.

On n’est pas plongé dans cette rigueur “habituelle” de l’armée, que les films montrent parfois. Je caricature : le réveil à l’aube, le fait de marcher au pas, etc. Là, on la discerne dans la représentation du groupe social, qui rythme finalement toute la narration. Pas d’adultes présents, que des jeunes, qui sont finalement ceux qui représentent l’autorité.

Nathan  : Sans vouloir répondre à la place de Janloup, qui me semble plus apte à parler du scénario et de sa construction, je me souviens qu’il nous a expliqué avoir la volonté de préciser le sujet. Comme c’est un court-métrage, il a cherché à vraiment illustrer un phénomène central  : cette amitié, qui ne se fait pas. En parallèle, il y a le rapport aux anciens, qui ont de l’emprise sur les plus jeunes.

Festival Jean Carmet 2022
Alséni Bathily par Léïna Jung ©

Qui revient à questionner la force de l’influence en somme… Y aurait-il, à ce propos, une personne qui ait eu une place de taille, dans votre évolution cinématographique personnelle  ?

Alséni  : La rencontre qui a vraiment marqué le déclic pour moi, ce serait Omar Sy. La première fois que je l’ai vu, c’était dans le cadre de mon parrainage pour les César. Un moment très spécial, comme l’impression qu’on se connaissait déjà. Depuis, cette rencontre me porte au quotidien.

Nathan  : Leslie Médina, pour sûr. J’ai eu un échec sur un projet, quelque chose de banal en soi, mais qui terrasse l’humeur. Tu vas loin dans les auditions, mais au dernier instant, tu apprends que tu n’as pas le rôle. La première fois que ça t’arrive, tu es dévasté… Mon premier réflexe, ça a été de la contacter. Je la connaissais de ma formation, mais pas plus que ça en fait. Je lui ai envoyé un message. Et elle s’est rendue très disponible, on a passé une demi-heure au téléphone où elle a vraiment su trouver les mots pour me rassurer. Avec des exemples et des situations parallèles, qui permettent de relativiser… Cette conversation me reste encore en mémoire aujourd’hui, elle m’aide à avancer. Donc Leslie Médina : big up  !

À quoi ressemble la suite pour vous, après le Festival Jean Carmet  ?

Alséni  : Les longs projets, je ne peux pas encore en parler, parce que certains ne sont pas encore confirmés. En revanche, j’aimerais moi aussi un jour réaliser. J’écris actuellement un court-métrage, et je me rends compte que ça m’aide à voir les choses différemment, plus j’écris, plus ça m’ouvre les yeux.

Nathan  : Pour ma part, j’ai un long-métrage dont je ne peux pas malheureusement pas non plus parler… Je peux seulement affirmer que je suis très fier de participer à ce projet plus “écoresponsable”. Sinon, j’écris mon second court-métrage après avoir auto-produit le précédent. L’idée, ce serait de ne pas avoir à réitérer l’autoproduction, histoire de garder de bonnes relations avec mon banquier… (rires)

Le rôle de rêve, ce serait  ?

Nathan  : Le rêve de gosse, ce serait l’outre-Atlantique, probablement parce que j’ai grandi avec ces films-là, donc, ce serait ça en premier lieu, de pouvoir s’exporter et tourner en anglais. Mais sinon, plus tu grandis, plus tu matures les choses, et je dirais que mon désir aujourd’hui se tourne davantage vers le biopic. Qu’on me dise «  Tu vois cet homme-là  ? Tu l’étudies de A à Z et tu lui rends hommage.  »

Alséni  : Moi, je préfère me laisser surprendre  ! Je n’ai pas vraiment de rôle de rêve, j’aimerais jouer toutes sortes de choses tant que l’idée me parle. Le voyage, c’est mon truc, j’aime tout faire.

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