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« Et pourquoi moi je dois parler comme toi ? » – Anouk Grinberg porte la voix des oubliés

Et pourquoi moi je dois parler comme toi?
© Tuong Vi Nguyen

La comédienne Anouk Grinberg et le musicien Nicolas Repac, mettent en voix des textes de poétesses, d’écrivains, d’anonymes et de marginaux dans une lecture musicale bouleversante.

Il y a ces grandes voix du dix-neuvième et du vingtième siècle dont on se souvient. Des voix d’hommes, celles de Rimbaud, Verlaine, Baudelaire, des écrivains à l’aura d’artistes maudits dont les textes sont étudiés à l’école encore aujourd’hui. Dont les textes irradient notre vingt-et-unième siècle à nous, nos représentations, notre vision de ce que devrait être l’art. Et puis il y a les autres. Ceux que cette Histoire-là, écrite par les vainqueurs, a oublié. Ce sont toutes ces voix disparues qu’entend porter sur scène la somptueuse Anouck Grinberg.

La comédienne, qui fait son grand retour sur scène – et au cinéma avec L’Innocent, de Louis Garrel, encore en salles -, se donne l’apparence physique des marginaux de l’époque, chemise et grand chapeau vissé sur la tête. Les éléments de décor et de mise en scène s’arrêtent ici. Grinberg gravite, parfois texte à la main, entre les instruments accumulés de gauche à droite de la petite scène par Nicolas Repac, qui jongle de l’un à l’autre selon le texte. L’atmosphère lourde sans être pesante, se charge de toute la hargne de ces oubliés que l’on peut imaginer, à défaut de les connaître. Sont cité·e·s Henri Micua,x (1899-1984) ; Jules Pages, « On ne sait rien sur lui », indique le livret du spectacle, Justine Python, dont on ne connaît pas la date de mort ou encore Jeanne Tripier, employée dans un magasin de nouveautés dans l’Amérique de la fin du 19e siècle.

La mise en scène d’Alain Fraçon est ingénieuse : il est ici question de marges, certes, mais celles-ci sont suffisamment diverses pour éviter d’entrer dans une petite musique redondante. Certains auteur·rices parlent comme un râle, un souffle plein de désespoir qui emporte avec lui la fougue d’Anouck Grinberg, d’autres sont des hurlements de douleur, ils disent l’exclusion, le drame. La comédienne, impeccable, jongle d’une partition à l’autre et offre à son public un spectacle d’une cruelle intensité.

Et pourquoi moi je dois parler comme toi, de et avec Nicolas Repac et Anouck Grinberg au Théâtre de la Colline,

Journaliste

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