Pour la sortie de sa première BD, Les Fées scientifiques, nous avons rencontré Zoé Sauvage. Ce roman graphique propose avec humour de vulgariser quelques découvertes scientifiques.
Résolument ancrée dans la science-fiction, la BD Les Fées scientifiques parle de l’histoire scientifique passée et contemporaine dans le futur. Cela semble étonnant présenté ainsi, mais c’est en 2037 que se situe l’histoire de cette BD qui rend accessible les théories des cinq « fées scientifiques » que sont Jane Goodall, Temple Grandin, Lynn Margulis, Barbara McClintock et Monica Gagliano. Un mélange des époques et des styles souhaité par Zoé Sauvage qui voulait garder un pied dans le monde scientifique où elle a forgé sa pensée lors de ses années d’étudiante. L’autrice, débordante de passion et de projets, nous a parlé de son premier roman graphique et des femmes dont il est inspiré.
Ton parcours est plutôt atypique. Après des études d’écologie et d’ethologie, tu es entré à l’école CESAN de Paris. Pourquoi ce changement ?
J’ai toujours été attirée par l’art et la science, puisque ce sont mes deux passions. Surtout la science du vivant. Et comme dans ce monde on doit faire des choix… Le métier de chercheur ne me correspondait pas trop, donc je me suis dit : autant faire de la vulgarisation. J’ai commencé par un documentaire animalier que j’ai réalisé il y a plus de dix ans. Il parlait des abeilles et des frelons asiatiques, et de la guerre que se livrent les deux espèces pour survivre. Ensuite j’ai eu plusieurs projets dans l’audiovisuel, notamment un pour enfants qui n’a malheureusement pas été acheté par la télévision. Puis j’ai eu un passage par la peinture et la sculpture, avant de me dire : autant faire de la BD — qui est un de mes rêves.
Et aujourd’hui, quel support te plaît le plus pour travailler ?
La BD est un medium génial. Il y a eu récemment une grande évolution du genre de la BD. Je voulais faire une BD comme celles de Liv Strömquist, qui mélange images et beaucoup de textes sans que jamais on ne s’embête. Je pense que le style de ma BD n’aurait pas pu exister il y a 10 ans. Ce mélange de SF, de vulgarisation et de mise en scène de personnes réelles.
« Je me suis inspirée de ce que je percevais des caractères des femmes dont je parle à travers les livres qu’elles ont écrit. »
Zoé Sauvage
Quel a été la genèse du projet ? Tu voulais faire une BD et ensuite réfléchir au sujet ou tu as fait une BD parce que le sujet te plaisait ?
Je voulais faire une BD moins longue au départ. L’idée était de mettre en scène un ou une scientifique qui évoluerait dans la forêt. Il fallait que son évolution soit mentale, que sa philosophie évolue. Il fallait qu’elle sorte de sa pensée fermée et cartésienne. J’envisageais donc d’apporter des éléments fantastiques dans le récit. Je me suis surtout inspirée de mon propre parcours d’étudiante, quand j’entendais des scientifiques parler froidement des animaux qu’iels observaient.
Pourquoi des « fées scientifiques » ? Pour l’oxymore ?
Pourquoi les fées ? Peut-être parce que je lisais Starhawk. Ou alors parce que je m’intéressais aux sorcières. C’est Mona Chollet dans Sorcières qui explique que les fées sont aussi des sorcières. Alors que pour moi c’était des créatures avec des petites ailes. J’ai alors pensé aux sorcières de la science ; au départ je voulais appeler mon livre Les sorcière de la science. Et puis Les Fées scientifiques m’est venu d’un coup.
Pourquoi situer ces fées scientifiques, parfois disparues, dans le futur ?
La BD n’est pas du tout réaliste donc je pouvais faire ce que voulais. Je l’ai situé en 2037. Ça va vite, quinze ans. Mais c’est un monde qui n’est pas réaliste. Disons qu’il est réaliste pour l’idée mais pas dans la mise en image. Mis à part Lynn Margulis et Barbara McClintock, les autres scientifiques dont je parle sont vivantes. Même si Jane Goodall a aujourd’hui plus de 80 ans, dans mon livre elle grimpe aux arbres. Je voulais parler de leur travail tout en gardant cette liberté d’inventer.
« C’est Mona Chollet dans Sorcières qui explique que les fées sont aussi des sorcières. Alors que pour moi c’était des créatures avec des petites ailes. J’ai alors pensé aux sorcières de la science ; au départ je voulais appeler mon livre Les sorcière de la science. »
Zoé Sauvage
Justement, 2037 est une date qui n’est pas si éloignée. Pourquoi cette date ? En général on place le futur à l’horizon 2050, ce qui est une manière de mettre la poussière sous le tapis… Il faut au contraire placer ce futur dystopique dans l’urgence, dans le futur proche ?
C’est vrai que 2037 n’est pas éloigné mais je ne voulais pas situer ma BD en 2025 non plus… 2050 c’est une date très pessimiste : les cataclysmes qui s’annoncent, etc. On en a déjà mais on va en avoir de plus en plus. Je voulais montrer un futur possible dans lequel on pourrait encore changer. Comme aujourd’hui. Un monde où il n’est pas trop tard, pas un monde apocalyptique.
Dans mon livre comme dans la vie réelle, les gens se sont séparés de la nature. On peut reconnaître Paris dans la BD, mais en même temps il y a de nouveaux immeubles à la place des anciens. Je voulais créer un univers radical, pousser le concept à fond de la séparation entre l’humain et la nature. Imaginer et comprendre ce que cette séparation engendre dans la pensée et dans les faits, le tout grâce à la science-fiction. C’est un énorme problème philosophique.
Tu savais dès le départ que le parcours de Zoa serait initiatique ? Que c’est la meilleure manière d’être didactique, ou du moins de trouver un équilibre entre fiction et vulgarisation scientifique ?
C’est exactement ça. Je voulais que l’héroïne traverse plein d’étapes. Au départ, Zoa est une héroïne très sure de ce qu’elle sait. Elle est si sûre d’elle qu’elle ne se pose pas de questions. Elle est amenée par la force des choses à changer.
Est-ce que tu avais des sources d’inspiration pour le dessin, pour le projet ?
En vulgarisation scientifique on met souvent en scène des scientifiques dans des situations cocasses. Par exemple comme avec le Professeur moustache de Marion Montaigne qui est très drôle. Dans mon livre il se passe des choses dans l’action, je ne voulais pas que ce soit statique et qu’il y ait trop de paroles. Je me suis inspirée de ce que je percevais des caractères des femmes dont je parle à travers les livres qu’elles ont écrit. Temple Grandin par exemple, qui est une scientifique autiste, a travaillé toute sa vie pour améliorer les conditions de vie (et de mort) dans les abattoirs.
C’est peut-être un peu tôt, alors que ta première œuvre vient de sortir, mais quels sont tes projets pour la suite ?
J’ai une idée de BD encore. Les Fées scientifiques est une BD très dense, et je pouvais aller dans plusieurs directions. J’aimerais parler de scientifiques comme Monica Gagliano, la scientifique la plus jeune des scientifiques évoqué·es dans le livre, qui propose une nouvelle façon de faire science à mes yeux. Dans ses recherches et ses écrits, elle mêle expériences scientifiques et chamaniques. Elle parle de choses qui ne sont pas acceptées dans le milieu. Je voudrais parler de scientifiques comme ça.
Les Fées scientifiques de Zoé Sauvage, éditions Cambourakis, 304 p., 26€