LITTÉRATURE

« Mon cher mari » – L’amour de la haine

Mon cher mari © Gallimard
Mon cher mari © Gallimard

Le recueil de nouvelles de l’autrice macédonienne Rumena Bužarovska vient d’être traduit en langue française chez Gallimard. Mon cher mari est un recueil grinçant aux personnages aussi cruels que fragiles.

Aucune des onze femmes du recueil de nouvelles Mon cher mari n’est parfaite. Grâce à cela, elles semblent réalistes. En réunissant ces nouvelles en recueil, Rumena Bužarovska s’est rendu compte que toutes tournaient autour du même thème : une femme mariée arrivait à un point de crise, poussée à bout. Leur prise de conscience tardive ou non est donc le point de départ de chaque histoire. Professeure assistante de littérature américaine à l’Université de Skopje, l’autrice est également traductrice de l’anglais vers le macédonien d’auteurs tels que Lewis Carroll, Truman Capote ou encore J. M. Coetzee. Si Mon cher mari n’est pas son premier livre, il est son premier ouvrage publié en français.

L’idée du titre Mon cher mari [мојот маж, littéralement « Mon mari » dans l’original, ndlr] vient du fait que c’est ce qui est le plus couramment utilisé pour identifier une femme : qui est son mari, ce qu’il fait, s’ils ont des enfants. Ne pas être vue comme quelqu’un avec une personnalité et une profession à soi, et devoir lutter contre toute l’histoire de la civilisation pour ça. Je voulais que mes personnages commencent par parler de leur mari, parce que c’est ce qui les définit – mais en réalité elles parlent d’elles-mêmes.

Rumena Bužarovska, interview pour Exberliner, le 13 septembre 2021

Femmes au bord de la crise de nerf

Une femme vient de perdre son mari qu’elle trompait. Elle ne peut plus rien avaler et s’insurge contre le monde entier. Une autre rend visite à sa mère avec son bébé en cachette de son mari, mais un terrible accident va l’accabler de culpabilité. Une artiste en herbe persuadée d’être une génie du pinceau s’aveugle et ne voit pas que sa nièce et son mari se moquent d’elle… Ces onze nouvelles sont autant de portraits de femmes lassées ou en colère. Dépression post-natales, dégoût par leurs enfants, haine de soi et de son mari, la mosaïque est complète. « Pour la première fois, j’ai senti comme il tirait pour téter et, jusqu’au jour où je l’ai sevré, j’ai tout le temps eu l’impression qu’un petit extraterrestre était en train de me traire  » peut-on lire dans la nouvelle « Père ».

Aucune des onze femme du recueil ne s’appartient jamais vraiment. Toutes sont installées dans une situation familiale a priori stable (mariées, avec ou sans enfants). Cependant elles sont toujours liées à quelqu’un, obligées par quelqu’un, qu’il s’agisse d’un enfant, d’un mari, d’un frère ou d’un amant. Mais c’est avec humour que Rumena Bužarovska décrit ces sensations d’impasses. Ses personnages souvent elles-mêmes misogynes ou très égoïstes font rire tant leur point de vue semble parfois exagéré. La dernière nouvelle notamment, intitulée « Le 8 mars », raconte une soirée qui vire au cauchemar dans un comique de situation grotesque.

Si Rumena Bužarovska ne révolutionne pas le genre de la nouvelle, elle en maîtrise cependant parfaitement le format. Chaque récit fait mouche et chaque histoire domestique, aussi banale soit-elle, inquiète ou amuse. On se demande toujours où se situera le point de bascule, quel sera le drame et quelle sera la chute. Un format classique et efficace.

Mon cher mari, de Rumena Bužarovska, traduction (Macédoine du Nord) de Maria Bejanovska, Gallimard, 176 p., 18,50€

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