LITTÉRATURE

« Ma théorie sur les pères et les cosmonautes » – Décollage réussi !

Egon Schiele © Denoël
Egon Schiele, Garçon recroquevillé (Paul Erdmann), 1915 © Denoël

Pauline Desmurs, étudiante en journalisme, publie son premier roman chez Denoël pour la rentrée littéraire. Ma théorie sur les pères et les cosmonautes, un récit très touchant sur le deuil que traverse Noé, un jeune garçon qui a de la suite dans les idées. Un livre drôle et accessible, plein de justesse et de poésie, et qui fera beaucoup de bien  !

Noé est bouleversé par la mort de Beatriz, l’amie de sa mère. Il va mettre du temps à comprendre, à accepter, à surmonter cette épreuve. Pauline Desmurs donne au temps sa juste place  : on suit toutes les étapes du deuil avec empathie.On assiste aux moments de doute où l’enfant semble bloqué dans le processus, jusqu’à la célébration. Apprendre à célébrer les douleurs universelles. Quelque part, cette histoire a une vocation pédagogique  : elle nous accompagne, petits et grands, dans les mauvaises passes pour les sublimer, les faire voir autrement.

Un roman accessible

Ce livre a la grande qualité de s’adresser à un large public, tout en ne versant pas dans le pur divertissement, ni dans le sensationnalisme ou le conventionnel. Au contraire, c’est un petit bijou de sincérité et un grand témoignage d’amour. Dans un style simple, épuré, et d’une grande liberté. L’autrice nous guide dans le flux de conscience d’un jeune garçon créatif et vif d’esprit. On rit de ses interprétations farfelues, de sa spontanéité, de son étonnante lucidité. On le suit dans sa quête de vérité, avec tout ce que cela peut comporter de crû, de déroutant, d’amer. La réalité nous y apparaît toute entière dans sa complexité, avec tout le naturel dont est capable l’enfant.

D’ailleurs, ce pourrait très bien être une première lecture pour un enfant d’environ huit ans. L’identification au personnage principal sera aisée, et le sujet du deuil pourra ainsi être abordée de manière apaisée, intelligente et progressive. Les chapitres très courts permettent de respecter le rythme de lecture d’un jeune lecteur, et surtout de structurer le récit comme une compilation de petits blocs de pensées autonomes. La tendresse avec laquelle les personnages nous sont présentés amène à une certaine curiosité de l’autre, à un désir de le comprendre. Il y a aussi la relation de Noé avec son père absent, qui soulève des problématiques essentielles dans la vie d’un enfant.

Littérature performative

Le récit s’ouvre et se ferme sur le deuil. Le deuil aussi commence et termine avec le récit. On voit bien qu’il prend beaucoup de place, qu’on ne pense qu’à cela. Et rien n’est plus vrai, que le manque qui nous accapare mieux que n’importe quoi d’autre. Ce manque, c’est celui de l’être aimé, bien sûr, mais c’est aussi le manque de confiance, de repères, d’horizon. Noé fait l’expérience du vide, du non encore pensé, de la perte de sens. Et nous avec  ! Si l’on se laisse prendre au jeu, en viendra-t-on à la même conclusion que lui  ? Trouver du sens dans la création, dans la pratique artistique, que l’on y soit acteur ou spectateur.

Mais le plus intriguant dans ce livre, c’est la narration. Qui parle  ? Un enfant ou un adulte  ? Au vu des tournures de phrases, on comprend vite que Pauline Desmurs n’a pas vraiment choisi de faire s’exprimer Noé dans un phrasé enfantin. Ça ne manque pas de formules rigolotes, de transitions étranges ou de mots bizarres, non. Mais la plupart des phrases sonneraient faux dans la bouche d’un enfant. Ce qu’il se passe dans ce livre est formidable  : le narrateur semble être un adulte qui se remémore, en parfaite harmonie avec l’enfant qui est toujours en lui. L’autrice n’a pas cherché à imiter ni à recomposer l’innocence, l’imagination, l’expressivité des plus jeunes  ; elle a simplement su conserver sa part d’enfance, et en la lisant, on a l’incroyable sensation de retrouver la notre  !

Ma théorie sur les pères et les cosmonautes par Pauline Desmurs, éditions Denoël, 192 p., 17€

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