LITTÉRATURE

« La Treizième Heure » – Le joyeux prêche d’Emmanuelle Bayamack-Tam

La Treizième Heure
© éditions P.O.L

Mêlant références bibliques et ultra-contemporanéité (sa marque de fabrique), l’autrice couronnée du prix du livre Inter en 2019 pour Arcadie livre, avec la Treizième Heure, une touchante réflexion sur le genre.

Il y a cette citation de Paul Otchakovsky-Laurens, fondateur des éditions P.O.L, greffée sur le site internet de la maison d’édition : « La littérature, pour mettre le désordre là où l’ordre s’installe. » Particulièrement opportune pour ce nouvel opus d’Emmanuel Bayamack-Tam, La Treizième Heure, qui s’est décidée à mettre du désordre dans nos conceptions des normes. D’abord, il y a le titre, La Treizième Heure : c’est le nom de cette paroisse, fondée il y a une dizaine d’année par Lenny, le père de Farah. Pas un truc de grenouilles de bénitier, avertit la jeune fille, narratrice des premières pages.

Rien à voir avec le christianisme ou le protestantisme – bien que certaines similitudes puissent être envisagées avec les témoins de Jéhovah, notamment le porte-à-porte lourdingue pour convertir de nouveaux adeptes qui a bercé l’enfance de cette fille de pasteur. Mais attention, pas de dogme dans cette église. Contrairement aux autres paroisses, qui ont la réputation de ne pas être les plus accueillantes pour les minorités, La Treizième Heure est inclusive et queer. Et pour les prêches ? On récite de la poésie, parfois mêmes des paroles de chansons. Il n’y a pas encore de Dieu désigné. Autrefois, les treiziémistes ont pensé que leur Dieu, c’était Chris Martin, le célébrissime chanteur de Coldplay, mais celui-ci n’a jamais daigné répondre aux mails.

«  Le monde est straight »

C’est ce décor joyeusement iconoclaste que plante Farah, jeune narratrice pas encore majeure mais au regard déjà caustique sur les pratiques de l’Église, son royaume et sa famille, mais aussi, objectivement, une sacrée bande de loosers. L’ado, plutôt cartésienne, enchaîne les lectures et rêve de devenir scientifique pour observer les différentes espèces. Elle rêve aussi de retrouver sa mère, qui l’a abandonnée à sa naissance et qu’elle n’a jamais rencontrée. Son père évite soigneusement de lui en parler, ses grands parents l’ont à peine aperçue, mais Farah n’a pas peur du défi et elle est bien décidée à mener l’enquête.

« Car il est temps que tu saches, si tu ne l’as pas déjà compris pas toi-même : ce monde ne veut ni des femmes à bite ni des enfants intersexué•es. Note qu’il ne veut pas non plus de ces fous qui mélangent tout (…). Le monde est straight, ma chérie, autant que tu t’y fasses, ou plutôt non, ne t’y fais pas et entre en dissidence, comme ton père. »

La Treizième Heure, Emmanuelle Bayamack-Tam

L’ouvrage réunit avec grâce toutes les obsessions d’Emmanuelle Bayamack-Tam : quête de soi, références bibliques, pouvoir de la littérature, le tout dans un contexte de modernité presque insolente. Certains personnages – dont on taira les noms par souci de ne pas divulgâcher – sont intersexes et trans. Il est question d’une maternité parce que, n’en déplaise aux polémiques récentes autour du Planning Familial, qui avait dévoilée des affiches d’hommes enceints, ces choses-là existent dans la vraie vie, dans le concret. C’est ce concret-là que l’autrice s’attache à explorer, dans ce roman à trois voix – Farah, Lenny, puis la mère – pour mieux livrer une formidable réflexion sur la famille, sur le genre. Mais une réflexion en pratique. Car c’est ça, le sujet d’Emmanuelle Bayamack-Tam. La vie, ses retournements, les émotions, les doutes. La vie, la vraie. Rien d’autre.

La Treizième Heure, d’Emmanuelle Bayamack-Tam, éditions P.O.L, 23 euros.

Journaliste

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