LITTÉRATURE

« Euphorie » – Combustion spontanée

© Editions de l'Observatoire
© Editions de l'Observatoire

C’est la pensée incandescente de Sylvia Plath lors de sa dernière année de vie que nous propose de lire Elin Cullhed avec Euphorie. Un premier roman pour adultes lauréat du prix August et phénomène en Suède, d’où est originaire l’autrice.

Dans le journal de Sylvia Plath on peut lire ce désir à la fois furieux et réprimé : « And what do I want ? I want to live and feel all the shades, tones and variations of mental and physical experience possible in my life. And I am horribly limited. » («  Et qu’est-ce que je veux ? Je veux vivre et sentir toutes les nuances, les tons et les variations des expériences mentales et physiques possibles dans ma vie. Et je suis horriblement limitée. ») Sylvia Plath a un peu moins de trente ans lorsqu’elle s’installe avec son mari le poète Ted Hughes dans le Devon. Elle a une fille d’un an à peine, Frieda, et attend un autre enfant. Son mari fait des allers-retours à Londres pour le travail et surtout pour voir sa maîtresse, la poétesse Assia Wevill. Plath essaie d’écrire mais jongle de plus en plus seule entre une santé mentale instable et deux enfants en bas âge. Son roman La Cloche de détresse (1963) n’est pas encore publié. C’est en février 1963 qu’elle se suicide à trente ans à peine.

C’est cette dernière année de la vie de l’autrice qu’Elin Cullhed romance. Comme il est précisé en avant-propos : « Euphorie est un exercice littéraire sur Sylvia Plath et ne doit pas être lu comme un exercice biographique. […] Sylvia Plath devient donc, dans ce livre, un être fictif. » Sans date anniversaire précise, c’est le hasard du calendrier qui veut qu’Euphorie soit le deuxième livre publié cette année en France à reprendre ou réécrire librement les dernières années de vie de Sylvia Plath. Déjà, Coline Pierré imaginait une fin heureuse à la poétesse et romancière dans Pourquoi pas la vie. Sans aller jusqu’à réviser le passé, Elin Cullhed se place dans la tête de Sylvia Plath et épouse sa plume incandescente.

Tout feu tout flamme

Dans son acception médicale, l’euphorie est une «  Impression de bien-être, de soulagement, parfois illusoire, provenant soit d’une amélioration de l’état de santé, soit de l’action de certains médicaments ou stupéfiants » (CNRTL). C’est dans cette illusion toute relative que s’enferme Sylvia Plath. Relative parce qu’elle sait que ces instants joyeux sont fragiles. Pour elle, la vie est en effet « une alternance de chemin de croix et de paradis ». D’une joie euphorique, elle dégringole l’instant d’après au plus bas. Aussi vacillante et instable qu’une flamme, Sylvia Plath devient sous la plume d’Elin Cullhed une femme tour à tour embrasée de désir ou isolée comme une flammèche.

J’étais en chute libre, bientôt je serais tout en bas, bientôt elle aurait coupé la corde qui avait été si solide en moi quelques instants plus tôt – la corde de la joie. Bientôt je m’effondrerais sur le sol, littéralement, avec la sensation d’être morte.

Euphorie, Elin Cullhed

Pour se placer au plus près de la pensée de la poétesse, Elin Cullhed adopte les thématiques chères à l’autrice. Elle reprend donc les litanies de Sylvia Plath, ses anaphores percutantes et ses obsessions. Le désespoir, les émotions violentes et fluctuantes sont légion. Cullhed se sert par moments d’une technique proche du flux de conscience pour suivre les méandres imaginaires de son sujet. C’est donc une langue fiévreuse qu’expérimente l’autrice suédoise : le rouge, les images de flammes y tourbillonnent en boucle. « Je préfère m’écrouler en brûlant, s’il faut trouver une métaphore pour ma propre vie, je suis sûre de la supériorité de l’incendie » fait-elle écrire à son personnage.

Lady Lazarus

Euphorie est le deuxième livre de l’autrice suédoise, mais son premier pour adultes après Gudarna (2016). Avec ce deuxième roman, le point de départ a été simple et très personnel pour elle. Mariée à un écrivain, elle-même écrivaine, elle a dû jongler avec les difficultés qu’entraînent l’arrivée d’enfants dans une vie de travail artistique. C’est en partie de là qu’est venu son intérêt pour Sylvia Plath. Comprendre pourquoi cette jeune femme a été poussée à bout au point de finir sa vie la tête dans un four. Cullhed interroge les apparences et la pression sociale. Comment Plath voyait-elle ses voisin·es, sa nounou, ses ami·es, sa mère ? Comment se percevait-elle dans leur regard ? Dans le récit de l’autrice suédoise, la poétesse cherche à sourire pour convaincre les autres de sa perfection et de sa beauté. Elle souhaite que tout devienne enfin « comme une carte postale, une image. Fixe. » Mais l’instant d’après, un détail, un mot, un geste, un souffle de vent détruit tout, carbonise tout : « tout était détruit – en un clin d’œil, à la vitesse d’une flamme ».

C’est donc la tension permanente entre le rôle de mère et le besoin d’écrire que met en lumière Elin Cullhed. Sa lutte pour concilier les deux aspects de sa vie – en plus d’un équilibre mental fragile. Mais plus que la mort de la poétesse, c’est sa vie qu’a préféré mettre en lumière Cullhed. Une vie incandescente. Comme l’écrit Sylvia Plath dans La Cloche de détresse : « I took a deep breath and listened to the old brag of my heart. I am, I am, I am. » (« J’ai pris une profonde inspiration et j’ai écouté les anciennes fanfaronnades de mon cœur. Je suis, je suis, je suis. »)

Euphorie, un roman sur Sylvia Plath de Elin Cullhed, traduit du suédois par Anna Gibson, Les éditions de l’Observatoire, 368 p., 22 €

You may also like

More in LITTÉRATURE