Zéro Gloire de Pierre Guénard, chanteur et écrivain, retranscrit ce singulier parfum de notre contemporanéité : « l’odeur du temps qui passe et qui fait tout pourrir ». Ce premier roman décrit une atmosphère où flotte désespoir, à-quoi-bon, fatigue et omniprésence de la mort.
Aurélien, le narrateur, travaille jour et nuit. Nous le suivons entre ses heures salariées et ses souvenirs ressurgis. Son récit donne la sensation d’une vie qui file à toute allure et qui cherche à faire avec l’ennui et la déception.
Travailler
Aurélien Moreau surnommé Harry, pour Harry Potter, vit à Poitiers en colocation avec Martin. Il cumule deux jobs. Il bosse chez McDo la nuit et le jour pour une agence funéraire dans la zone commerciale de la ville. L’auteur écrit :« Que ce soit au McDo ou aux enterrements, je vois tout ce que ces pauvres types préfèrent garder pour eux : la faim et la tristesse. Il y a comment un secret professionnel là-dessus ». Pierre Guénard préfère, lui, lever le voile sur ces émotions, pas que joyeuses, qui traversent le corps social. Ils ont faim, n’ont pas un rond, sont tristes à mourir, travaillent sans discontinuer.
Selon l’uniforme que je porte, je vends des burgers ou je viens chercher un corps, alors je me dis qu’on devrait inventer le Big Macchabée juste pour moi.
Zéro gloire, Pierre Guénard
L’auteur porte un regard sinistre sur notre société qui se réunit aussi bien dans les fast-foods qu’à la morgue. Son ton désabusé, rythmé par un humour noir, livre un regard bien réel sur ce qu’est le quotidien. Il décrit un monde où le fantasme de la célébrité règne. Les travailleurs ne sont plus que des êtres remplaçables et échangeables qui ne trouvent aucune utilité aux tâches qu’ils réalisent inlassablement. Le travail devient la vie. Les boulots n’ont plus de sens. Les pères se barrent. Il décrit les « bip bip » incessants des machines à frire, les commandes passées, les automatismes langagiers, le maquillage des corps morts, les frigos, les faits divers sordides.
Grandir
Dès le début de sa vie, Aurélien côtoie et raconte la mort : les animaux écrasés, les vipères tuées à coup de fusil. Il a grandi à Cravoux, village situé non loin de Poitiers, où le cimetière a été l’un de ses premiers terrains de jeux. Il fume des cigarettes sur les tombes et joue à « saute-caveau ». Puis, il grandit et commence à boire, à tirer à la carabine, à se branler sur des magazines porno. Sonia est son premier amour et sa douce blessure.
J’écris Sonia sur la vitre pour l’avoir avec moi. J’écris tellement son prénom qu’il ne veut plus rien dire, et quand le chauffeur me crie de descendre parce que j’ai la tête dans les Sonia, je sens grossir en moi tout ce qui nous sépare.
Zéro gloire, Pierre Guénard
Avec Jerem, son pote, ils traînent et cherchent à enrayer l’ennui de ce bled à coup de clopes, de tease et de baise. Pierre Guénard décrit ces adolescents qui performent une certaine virilité mais dont la maladresse palpable laisse transparaître leur sensibilité exacerbée.
Écrire
Entre deux, Aurélien écrit des poèmes : « Je travaille pour bouffer mais le reste du temps je suis plutôt dans la poésie ». Dans les vapeurs de la fatigue, quand « tous les filtres tombent », son esprit baisse la garde et fait jaillir des bouts de phrases qu’il s’empresse d’aller noter aux toilettes. L’écriture est une des manières que le personnage trouve pour capter quelque chose de ces existences banales et tragiques. Il analyse, avec son regard vif, les profils et les manies de ceux qu’il rencontre et qui se dissimulent derrière une certaine nonchalance.
Zéro gloire fait le récit du pathétisme de nos existences sans omettre son prosaïsme comme pisser en plein air, faire un créneau, éjaculer dans un mouchoir ou vouloir se suicider.
Zéro gloire de Pierre Guénard, Editions Flammarion, 16euros.