Vers l’apocalypse est le dernier recueil du poète et biographe Jean-Luc Steinmetz, publié en juin 2022 aux éditions Le Castor astral. C’est un long texte en vers qui traverse (ou se fait traverser par) l’Apocalypse de Jean, dans une fusion permanente entre l’histoire de l’humanité et la sensibilité de l’auteur.
On trouve dans ce recueil tout ce qui constitue le Livre de la Révélation : visions prophétiques, humanité entre deux mondes, allégories et symbolisme, rencontres entre les univers sensible et surnaturel. Jean-Luc Steinmetz ne se prive pas de consacrer une grande partie de son texte à l’imagerie apocalyptique et toute sa dimension épique et mystique. Il lui confère même une place assez centrale en structurant son texte au rythme des différentes apparitions : les quatre cavaliers, les sept sonneries, les sept signes, la femme prostituée, etc.
Des limites de la poésie sans artifices
Définir la poésie n’est pas une tâche aisée. On peut penser qu’il s’agit d’une forme, mais l’on connaît les nombreuses formes possibles de poèmes dont certaines n’auront rien en commun avec d’autres. La poésie, ce ne sont pas forcément des vers, des rimes, des figures de style mais ce sont souvent des images, des visions qui renversent le monde, des trouvailles. Ce livre fait partie de ceux qui posent la question des limites de la poésie. Avons-nous affaire à un long poème irrigué de réflexions philosophiques et spirituelles ? Ou s’agit-il d’un texte apocalyptique contemporain, venant renouveler le genre littéraire tout en se rapprochant des origines prophétiques de la poésie ?
En effet, le texte est dense, extrêmement riche en références bibliques, artistiques et historiques ; il est intense, dans sa conjugaison de concepts et d’expériences personnelles, et dans les réflexions complexes qui en émergent ; il est épuré, dépouillé de tout artifice stylistique – pas de rimes, peu de musicalité, peu d’images poétiques. Ce sont plus souvent des descriptions, parfois grandioses, épiques, terrifiantes ; des incises laissant la place à la voix de l’auteur pour des commentaires personnels, créant volontairement une rupture, ou un pont entre l’universel et l’individuel ; un récit surtout, celui de l’apocalypse revisitée, réactualisée. Finalement, cela fait penser à un journal de lecture : un poète nous fait part de son interprétation de l’Apocalypse, dans un style condensé, contre-intuitif, vertigineux pour certains, écrasant pour d’autres.
L’érudition à l’épreuve du sacré (ou l’inverse ?)
Jean-Luc Steinmetz se déclare athée (il le précise entre deux vers). Sans doute trouve-t-il dans la pratique poétique, comme de nombreux auteurs, une voie d’accès privilégiée au sacré. Sacrifier le langage pour en faire surgir des idées plus grandes que les mots, tordre la parole dans tout le sens ? Assurément, on assiste ici à une véritable logomachie mystique : à chacun de voir si tout cela fait effet ou non. On peut comprendre qu’un lecteur soit découragé par des passages trop hermétiques, lassé par la constante mise en jeu d’un système référentiel érudit, ou simplement frustré par un style abrupt. Force est de constater que ce livre touchera un public de niche, composé de personnes disposant d’un niveau d’éducation suffisamment élevé et d’une sensibilité particulière.
Plutôt que de créer une nouvelle porte d’accès au sacré, le parti pris du poète semble plutôt être de décortiquer, de questionner les modes d’expression du divin, presque de s’approprier les prophéties pour les faire parler sur un nouveau ton — celui d’une sagesse toute érudite. Mais peut-être que le sacré ne parle pas exclusivement la langue de l’intellect, du purement rationnel ? Ne doit-on pas alors regretter l’aridité d’un texte qui ne souffre aucune espèce de séduction, d’amusement, d’émotion ? Aucun doute néanmoins sur l’étonnante capacité de l’auteur à trouver dans La Révélation … des révélations, justement, d’un autre ordre parfois, mais toujours fécondes. C’est un texte en travail, qui doit faire son chemin dans les esprits les plus assoiffés, désireux d’un inconnu biblique, ou d’un impensé.
Vers l’apocalypse par Jean-Luc Steinmetz, éditions du Castor Astral, 200 p., 15€