Ces dernières années, la thérapie psychédélique est apparue comme un traitement possible des maladies mentales. Bien que les résultats soient prometteurs, cette pratique n’est pas une solution miracle.
Ces dernières années, la médecine a ouvert ses portes à une nouvelle thérapie, qui porte avec elle un tabou socio-politique : la thérapie psychédélique. Cette procédure a comme but le traitement de certaines maladies mentales par l’union de la psychothérapie à l’usage contrôlé de substances psychédéliques.
La psychothérapie psychédélique emploie différentes substances, notamment le LSD, la MDMA, la ketamine, mais aussi la psilocybine, un psychoactif contenu dans les champignons hallucinogènes. Elles sont utilisées dans le cadre de protocoles thérapeutiques précis, et sont associées à des séances de psychothérapie conçues pour maximiser les bénéfices des expériences hallucinogènes. Il s’agit d’un champ de recherche en devenir, qui révolutionne le domaine de la psychothérapie et, dans le même temps, lutte contre la stigmatisation des drogues.
Le psychédélisme est avant tout un terme inventé dans les années 1950 par Humphry Osmond, un psychiatre canadien, qui constate alors que certaines substances sont capables de manifester des aspects de la psyché humaine qui sont généralement réprimés par notre propre esprit. Ils sont classés uniquement en fonction de la façon dont ils agissent sur l’esprit. Plus tard, ces substances sont sorties des laboratoires et sont monopolisées par la culture hippie. En étant associées à la musique, aux fêtes, au plaisir, ces substances ont souffert d’une grande stigmatisation.
Ainsi je ne veux pas dire que c’est la faute des hippies si la recherche ne peut pas être faite, mais de ces institutions (notamment aux États-Unis) qui ont monopolisé les substances psychédéliques dans les années 60 et 70 et les ont interdites sous prétexte qu’ils étaient nocifs pour le corps, alors qu’il a été prouvé que ce n’est strictement pas le cas.
Igor Magaraggia, research assistant en neuro-psychopharmacologie à l’Université de Maastricht
Le war on drugs mentionné par Magaraggia est notoirement un outil politique, qui a, jusqu’à ce jour, rendu le travail des chercheurs plus compliqué. « Cette approche limite beaucoup la recherche », selon le chercheur. Il explique que le travail sur les psychédéliques est fortement contrôlé par les lois et règlements de l’état. Ces dernières années, la situation a évolué. Grâce à la recherche scientifique, on a pu constater que les psychédéliques ne sont pas si nocifs qu’on le croyait et que, dans certains cas, ils ont même un potentiel thérapeutique.
Entretien préalable
Dans la thérapie psychédélique, il y a d’abord une partie préclinique, biologique. Elle étudie les substances hallucinogènes, leurs effets sur le cerveau et le corps humain, les dangers, les dosages. La deuxième partie, thérapeutique, clinique, se concentre plus sur l’aspect humain.
Alessio Faggioli est psychothérapeute psychédélique à Psyon, une clinique psychédélique à Prague. Il explique que le processus pour reconnaitre des patients aptes à cette thérapie est assez complexe. Il y a des entretiens avec des médecins et des psychiatres.
Après cela, si le patient est sain et dans une condition mentale assez stable, il peut entrer en thérapie. Le professionnel rappelle que les patients avec des troubles borderline de la personnalité, bipolaires ou considérés comme présentant un risque de suicide sont exclus. Partant, si le sujet est capable de s’auto-réguler et n’est pas dans un environnement hostile, alors il peut commencer la thérapie.
La partie clinique de la thérapie psychédélique se compose des séances préparatoires, des séances psychédéliques —une ou deux seulement — et des séances d’intégration, dans lesquelles les thérapeutes et le patient parlent de ce qui s’est passé avec l’utilisation des hallucinogènes. « C’est la partie la plus importante, dans laquelle le patient peut arriver à intégrer ses expériences psychédéliques dans la vie de tous les jours », ajoute Alessio Faggioli.
Expansion du domaine de la conscience
Pourquoi préférer cette thérapie à une psychothérapie normale ? Alessio Faggioli explique que les traitements traditionnels utilisent des antidépresseurs. Ils ne sont pas toujours efficaces. L’Organisation mondiale de la santé considère que les antidépresseurs peuvent être une forme efficace de traitement de la dépression modérée à sévère, mais ne constituent pas le traitement de première intention en cas de dépression légère.
Ces médicaments ont aussi des aspects négatifs : ils créent une dépendance et ont plusieurs effets secondaires. L’un des plus fréquents est une baisse de la libido. « Si on parle de patients qui ont la vingtaine ou la trentaine, c’est comme si on les envoyait en enfer. Le deuxième effet secondaire est le sentiment d’être étouffé : tout ce qui se passe les touche de loin, comme s’ils étaient éloignés », explique Alessio Faggioli.
Les psychédéliques, en revanche, ont l’avantage de ne pas créer de dépendance, explique le psychothérapeute. De plus, ils agissent de manière totalement différente sur le cerveau du patient. Igor Magaraggia explique lui que la particularité des hallucinogènes est leur capacité à supprimer les filtres psychiques. Notre psyché, au fil des années, crée des filtres qui nous bloquent.
L’expérience hallucinogène nous conduit à la suppression de ces filtres. C’est l’événement que Faggioli appelle « expansion de la conscience ». Sur une longue période, des changements structurels se créent dans le cerveau. Au niveau biologique, une fenêtre de neuroplasticité est créée. Le cerveau devient plus plastique et flexible, capable de réaliser certaines connexions qui n’existaient pas auparavant. Il devient ainsi plus apte à apprendre de nouvelles choses, de nouveaux comportements ou de nouvelles façons de penser.
Le recours assisté aux psychédéliques n’est pas un magic bullet. Il ne convient pas à tout le monde dans toutes les situations.
Alessio Faggioli, psychothérapeute psychédélique à Psyon (clinique psychédélique à Prague).
Cependant, la thérapie psychédélique comporte des risques. Alessio Faggioli tient à rappeler que ce n’est pas la solution à tous les problèmes. Il s’agit d’une thérapie adaptée uniquement à certaines maladies mentales et à des cas peu graves. Elle est utilisée pour le stress post-traumatique, la dépression, la schizophrénie, alors que, par exemple, elle n’est pas utilisée pour la bipolarité.
« Il n’existe pas de thérapie ou de substance qui soit bonne pour tout le monde. » L’usage des psychédéliques peuvent aussi faciliter les erreurs cognitives. Les deux experts parlent tous les deux de bad trips. Faggioli explique qu’il faut être très conscient que tous les voyages psychédéliques ne sont pas forcément agréables. Il peut y avoir des expériences très effrayantes et très intenses. Magaraggia, quant à lui, explique qu’il y a des patients qui sont entrés dans des loops de pensées négatives, des cercles vicieux, dans lesquels on ne peut plus penser positivement et qui demandent du temps pour en sortir. « Les risques sont relativement bas mais ils existent. C’est pour cette raison qu’il faut toujours les utiliser avec des experts et dans un cadre d’un parcours thérapeutiques ».
Le futur de la thérapie psychédélique
L’utilisation de substances psychédéliques par l’homme remonte à des milliers d’années. Il existe en effet des preuves de l’utilisation de champignons hallucinogènes à des fins culturelles à partir de l’âge de la pierre. Malgré cela, l’impact de ces substances sur le corps et la psyché humains est encore largement méconnu. La recherche dans ce domaine en est encore à ses débuts, notamment en ce qui concerne l’utilisation des psychédéliques sur les patients souffrant de maladies mentales.
L’avancée dans ce domaine a eu lieu principalement en 1992, à la suite d’une réunion historique de la FDA, l’administration en charge de l’alimentation aux États-Unis, sur l’utilisation des psychédéliques. La thérapie psychédélique assistée a alors connu un nouveau printemps.
Malgré les restrictions gouvernementales qui limitent encore la recherche, le manque d’intérêt économique et les difficultés à travailler avec des substances non brevetées, l’intérêt pour la thérapie psychédélique augmente. Pour faire avancer les études, il est clair que le soutien financier des entreprises pharmaceutiques est nécessaire, ce qui, dans de nombreux cas, tarde à venir. Toutefois, les premiers résultats prometteurs et l’approbation générale à l’utilisation réglementée de cette thérapie laissent entrevoir un bel avenir pour la recherche.