Joué quotidiennement au Théâtre du Train Bleu, à Avignon, le texte de Marilyn Mattei convoque le spectre des violences en milieu scolaire, où le harcèlement et la brutalité sont la clé de voûte de l’intégration au groupe.
La plupart des spectacles du Off d’Avignon se jouent dans le centre-ville. D’autres, comme Seuil, dépassent les remparts qui encerclent le coeur de la cité, monter dans un bus, pour vous emmener vers des salles plus éloignées, plus ou moins adaptées à l’accueil d’un spectacle.
Mardi 12 juillet, quand on embarque dans le véhicule vrombissant, une classe de collégiens (et surtout de collégiennes), remplace l’habituel public composé surtout de CSP+ parisiens. Sûrement une classe d’école, ou un centre de loisirs.
Des très jeunes, en tous cas, parce que Seuil, et plus largement la compagnie Les Grandes Marées, qui porte le spectacle, fait le voeu de parler aux jeunes et à tous ceux qui n’ont pas l’habitude du théâtre. Le groupe, en sus de ses prestations à Avignon, propose des représentations en milieu scolaire. Cet été, c’est une représentation sur le milieu scolaire que Les Grandes Marées proposent, et cette fois, ce sont les élèves qui viennent à eux.
Chambre 109
On s’installe de part et d’autre d’une grande salle à la lumière clinique des open spaces de grandes entreprises. Quelques tables sont entreposées ici et là, font office d’école et d’internat. Dans ce collège fictif, on fait plusieurs voyages dans le temps.
Dans la première séquence, entre Noa (Baptiste Dupuy), bonnet vissé sur la tête, habité par une violence qu’il ne parvient plus à contenir. Le collégien est interrogé par une policière (Camille Soulerin, qui incarnera par la suite pas moins de cinq personnages différents) qui essaie de le mettre face à ses actes. On ne sait pas encore de quoi il s’agit. On rembobine. Noa intègre un nouveau collège.
À l’internat, il est dans la chambre 109. Camille Soulerin, qui a changé de tenue (et de personnage), entre pour lui dire que le lieu est maudit. Une autre Camille Soulerin devient l’un des locataires de la même chambre, brutal et harcelant. Noa, qui a toujours été faible et victime de harcèlement, veut s’intégrer au groupe de ceux qui sont respectés, selon lui. Ceux qui ne baissent pas la tête. Les violents.
« Rites de passage »
À mesure que Noa – formidablement incarné par les traits enfantins et le corps maigre de Baptiste Dupuy – s’enfonce dans une violence croissante pour s’intégrer au groupe, le titre de la pièce, Seuil, prend un peu de son sens. Marilyn Mattei, qui a écrit le texte lors d’une résidence d’écriture dans un collège, souhaitait faire prendre conscience de tout un pan de violence virile quasi institutionnalisé en société. Et interroger : jusqu’où peut-on aller pour se faire une place ? Comment est-il possible d’infliger de tels sévices sans s’en rendre compte ?
Seuil, dans un enchaînement remarquable, jette une lumière crue sur la culture du bizutage, souvent euphémisée à grands coups de « rites de passage » et « traditions ». Ici, il n’y a rien d’autre que de la violence, hurle le texte, dénonce le texte. Toute la tension, qui s’accumule pendant deux heures de représentation jusqu’à arriver à son point d’orgue, consistera à nommer les choses, à être capable de voir, puis de dire la barbarie. Face à nous, une collégienne essuie quelques larmes.