LITTÉRATURE

« Mon pauvre lapin » – L’art subtil du désastre

Mon pauvre lapin
© éditions Gallimard

Poussé par l’élan du premier confinement, César Morgiewicz se lance dans l’écriture et livre avec Mon pauvre lapin un récit d’apprentissage hilarant, porté par le charme de son antihéros.

Au début, il devait simplement passer quelques semaines chez sa grand-mère à Key West, en Floride. Un voyage nécessaire, pour prendre du recul aux côtés de celle avec qui il est «  en couple  » (c’est ce qu’elle répète à tout le monde), après qu’il se soit enfui de Sciences-Po, où il préparait pour la seconde fois le concours de l’ENA. Finalement la crise du Covid est passée par là et rentrer en France devient impossible. Les vacances (le chômage) se prolongent et c’est comme ça que César Morgiewicz, auteur et (anti-)héros de son propre roman se lance dans une grande introspection, qui prend la forme d’un drôle de récit d’apprentissage.

Disons-le tout de suite, ici chez Maze, on accorde beaucoup d’importance aux premiers romans et aux auteurs-rices jeunes, et notre petite expérience en la matière nous a montré qu’il s’agit souvent – presque toujours – de romans d’apprentissage, sur la famille ou les traumatises de l’adolescence mal digérés. Le texte de César Morgiewicz n’échappe pas à la règle et – en plus ! – il a été écrit pendant le premier confinement. Rien de très original, donc. Alors on entre dans ce livre un peu méfiant, en se demandant ce qu’un autre jeune qui nous raconte sa vie peut avoir d’intéressant à nous dire. Il ne nous faut pas longtemps pour déposer les armes : pas très original sur le fond, Mon pauvre lapin est un exercice de style hilarant.

Contre la tyrannie du cool

On l’a dit, ce texte de deux cent cinquante pages (quand même), raconte l’existence de César Morgiewicz, que sa famille surnomme régulièrement Mon pauvre lapin – d’où le titre de l’ouvrage. Ce garçon, issu d’une bonne famille de la bourgeoisie parisienne, semble résolument inapte à la vie en société. À mi-chemin entre le looser attachant d’un FabCaro et la caricature que l’on fait parfois de Marcel Proust (précieux, homosexuel et hypocondriaque), César cherche sa place dans l’existence. Sa passion pour l’apprentissage des départements et la RATP ne l’aide pas. À défaut d’être normal, c’est-à-dire viril et extraverti, il vit avec sérénité le concubinage avec sa grand-mère et passe ses vacances dans le Vercors avec ses tantes, qui l’enjoignent régulièrement à travailler parce que c’est «  la vraie vie  », alors que toutes ont hérité d’un appartement à Paris.

«  Pendant que je sombrais dans la folie, mes petits camarades sortaient le week-end. Tous faisaient leur première fois les uns après les autres. Ça me terrifiait, pourquoi le monde allait-il aussi vite ? Je rêvais qu’il était normal de rester puceau jusqu’à trente, trente-cinq ans, pour qu’on ait le temps de voir venir. Je disais aux autres non mais tu sais il ne faut pas se précipiter.  »

César Morgiewicz, Mon pauvre lapin

On se surprend à suivre avec plaisir les aventures de César. L’autodérision quasi pathologique dont fait preuve l’auteur – qui ne lésine pas sur les anecdotes peu flatteuses – le rendent très attachant, et disent quelque chose de notre époque, où les injonctions à être cool constituent une nouvelle norme pressurisante. Le pauvre lapin, du haut de sa vingtaine tout juste dépassée, n’a pas énormément d’amis (voire pas du tout, ça dépend des périodes), préfère passer son samedi soir chez sa mère plutôt qu’en soirée, rêve d’avoir un rapport sexuel pour pouvoir enfin l’avoir fait et en être débarrassé une bonne fois pour toutes, ne sait pas bien quoi faire de sa vie alors que l’avenir de ses proches du même âge semble évident et tout tracé. Qui n’a pas un peu de Pauvre lapin en lui ?

Mon pauvre lapin de César Morgiewicz, éditions Gallimard, 19 euros.

Journaliste

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