La Madeleine de ProustLITTÉRATURE

Madeleine de Proust #35 – Petit Prince Pouf

Madeleine de Proust
© Fanny Monnier

Chaque mois, un·e membre de la rédaction se confie et vous dévoile sa Madeleine de Proust, en faisant part d’un livre qui l’a marqué.e pour longtemps, et en expliquant pourquoi cet ouvrage lui tient à cœur. Ce mois-ci, Petit Prince Pouf, d’Agnès Desarthe et Claude Ponti.

J’ai personnellement toujours eu du mal avec la notion de livres « pour enfants ». Comme s’il y avait un véritable fossé qui se creusait entre l’enfance, l’adolescence et l’âge adulte, et que chacun passait uniformément à des goûts différents, plus évolués, de manière homogène. Il y a pourtant nombre d’ouvrages – à commencer par les contes de fées – qui, bien que réputés « pour enfants » contiennent finalement maints enseignements philosophique et sociaux qui ne sont pleinement accessibles qu’une fois atteint un certain niveau de réflexion. De même, certains livres destinés à nos moi passés nous en font ressortir bien plus grandis que divers ouvrages en haut du top 100 des lectures de l’été. Petit Prince Pouf, écrit par Agnès Desarthe et illustré par Claude Ponti, est de ceux-ci.

© Ecole des loisirs/ Claude Ponti

Une candeur frappant en plein coeur

Il est cette coutume, lorsque l’on devient « grand.e.s », de lire des œuvres de plus en plus complexes, aux scénarios de plus en plus entremêlés et empruntant des termes au champ lexical plus élitiste. Si cela a pour avantage de faire travailler notre cerveau sur la forme, cela peut néanmoins avoir un impact sur le fond. Finalement, qui dit qu’il faut lire compliqué pour lire bien ?

L’histoire du petit prince Pouf est resplendissante de candeur. Un roi et une reine d’un royaume lointain ont un enfant. Il est mignon, gentil, intelligent, et a tout pour être un grand roi. Son précepteur, monsieur Ku, lui enseigne ainsi trois leçons, essentielles pour gouverner. Mais ses méthodes peu orthodoxes vont jouer en sa défaveur lorsque le chambellan jaloux, Bougris, va les utiliser pour le faire renvoyer. Cependant, le petit prince a, grâce à son professeur, tous les outils en main pour démasquer le jaloux et régner sur un royaume en paix.

L’histoire ne cache aucun noeud, aucun dénouement alambiqué. Cependant, elle contient tous les éléments nécessaires à une intrigue parfaitement construite : un protagoniste, des adjuvants, un opposant et un motif de conflit. Sans pour autant se compliquer, l’histoire nous attache à un personnage et nous permet de naviguer tout au long du livre. On ressent de l’empathie, de la pudeur et aussi une étrange quiétude à la lecture des aventures du petit prince. Parfois, il y a de la beauté à être surpris.e.s par la simplicité.

Un pur sentiment d’évasion

Encore une fois, le passage de l’enfance à l’âge adulte est ponctué de symboles, de « rites », qui nous permettent de dire : « ça y est, je suis grand.e ». Le fait de ne plus avoir d’images dans nos ouvrages en est un. Il est facile de comprendre pourquoi une image aide un enfant qui a appris à lire depuis peu. C’est une question de concentration tout autant que de compréhension. Cependant, une fois que l’on a fini de considérer une image comme une aide subalterne à la lecture, il n’en reste que sa véritable essence : l’art.

Ce n’est pas un hasard s’il y a tant de BD ou de romans graphiques pour adultes. Le dessin apporte une réelle plus-value à une fiction, permettant à l’instar des films ou autres arts visuels de créer un univers encore plus précis pour le spectateur – ou le lecteur. Ici, les dessins de Claude Ponti sont un concentré d’imaginaire et d’admiration. Son style bien précis a inspiré une génération (pas uniquement) d’enfants. De par son absurdité et pourtant sa plausibilité, il nous crée un monde parallèle au nôtre et qui pourtant nous donne envie de croire en son existence. Ses dessins ne sont pas que beaux esthétiquement parlant, ils le sont du fait du sentiment d’évasion et d’exotisme qu’ils nous partagent. Alliés au style d’écriture graphique d’Agnès Desarthe, ils constituent ainsi un charme indispensable à cette lecture.

© Ecole des loisirs/ Claude Ponti

Et puis apprendre, tout simplement

Paradoxalement, ce sont au sein des livres « pour enfants » que l’on trouve le plus de réflexions sérieuses. Alors que l’ordre logique pourrait laisser croire que les enfants lisent pour s’amuser et les adultes pour s’instruire, il y a une notion pédagogique extrêmement importante dans les livres jeunesse, qui ne périme pas au moment où les enfants deviennent des adultes. Derrière une réflexion naïve et innocente se cache souvent un message plus profond et plus précis. Il ne se doit pas d’être compliqué pour être utile, et encore moins efficace.

Il y a quelque chose dans la simplicité des leçons de monsieur Ku qui nous permet de nous recentrer sur nous-mêmes. Elles nous ouvrent la porte à une possibilité, celle que finalement, tout ce dont nous avons besoin pour vivre une vie sereine se cache bien plus dans les bases d’apprentissage que dans les approfondissements qui semblent marquer notre niveau de vertu. Avec un simple « 1 et 1 font 2 » petit prince Pouf déjoue une guerre. Il y a là de quoi s’interroger. Et s’il était à nouveau agréable de penser simplement ? Apprendre des notions compliquées reste un plaisir pour certains, et peut-être même une réelle caresse intellectuelle. Mais il s’agirait peut-être de se concentrer sur les plus petits enseignements, ceux qui nous semblent acquis, et d’en mesurer la portée.

La véritable force de ce livre est dans sa simplicité, mais également dans son extrême précision. Rien n’est laissé au hasard, comme souvent dans les livres « pour enfants », et comme peu souvent dans les livres « pour adultes ». Que ce soit le détail dans l’illustration, ou le nom des protagonistes, il y a matière à réflexion dans l’intégralité de l’œuvre. N’est-ce pas là l’ingrédient principal pour un chef-d’œuvre littéraire ?

Lisez Petit Prince Pouf.

© Ecole des loisirs/ Claude Ponti

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