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FESTIVAL D’AVIGNON – Les « Déviant.e.s » ont du génie

Deviant.e.s
© collectif Birdland

Le tout jeune collectif Birdland met en scène avec Déviant.e.s une habile réflexion autour de nouvelles injonctions capitalistes, qui, en poussant la quête du bonheur jusqu’à l’absurde, rendent incapable d’apprécier simplement ce que l’on est. Un spectacle intelligent et brillamment interprété.

Luce a 25 ans et elle n’a rien de particulier. Elle a quelques hobbies, comme le tricot et la lecture, mais n’est passionnée par rien. Elle est célibataire, mais a déjà été en couple avec Martin. La vie de Luce est calme, pas la plus passionnante. « Elle avait toujours eu ce sentiment d’être née dans le ventre mou de l’Histoire  », dira d’elle au micro la narratrice, sorte de Jiminy Cricket planqué dans un coin de la pièce.

Malgré cette vie très banale, Luce a une particularité qui jure cruellement avec l’époque : elle est satisfaite de ce qu’elle a. Osons le dire : elle est même plutôt heureuse. Pourtant, autour d’elle, les autres semblent l’être plus encore, heureux, et courir derrière toujours plus de bonheur. Sa sœur, Sibyle, est plus jolie qu’elle et vit un amour passionnel avec son copain. Ils vont se marier. Sa collègue, Mathilde, est en quête du travail idéal et décide de démissionner pour vivre enfin la vie qu’elle mérite d’avoir.

Tout le monde court derrière son bonheur et Luce ne court derrière rien. Alors, quand une start-up de changement de vie propose à la gagnante de son grand jeu concours de bénéficier d’un coaching en changement de vie, Luce se décide à participer. Après tout, elle n’est engagée dans aucune association, elle n’a pas fait le tour de France des meilleurs initiatives écolo, ne part pas en week-end rando-yoga, ne joue pas d’un instrument de musique, n’est pas partie vivre à l’étranger…

Le bonheur, vraiment ?

Avec Déviant.e.s, le collectif Birdland et ses six comédiens – tous impeccables – propose une relecture de nos imaginaires contemporains. La pièce, inspirée par Happycratie, l’ouvrage de la sociologue Eva Illouz et par certains épisodes des Pieds sur Terre (des témoignages diffusés sur France Culture) consacrés aux influenceurs, met en lumière la nouvelle forme d’aliénation de notre époque.

Aussi sûrement que la quête de richesse et de réussite sociale gangrénait le monde d’avant la crise de 2008, aujourd’hui, c’est la quête du bonheur la grande marotte de l’époque. Alors, forcément, il faut jouir de tout (tout le temps, et vite), s’améliorer sans cesse, être épanoui, arrêter le sucre, manger bio…

Le texte, juste et bien écrit, fait sourire en même temps qu’il dénonce. Les personnages, tous « happé[s] par cette course à la perfection », comme Luce, comme les coaches en changement de vie, représentent à leur manière des injonctions contradictoires dans lesquelles il est difficile de ne pas se reconnaître. La mise en scène, rythmée et ingénieuse, alterne entre narration et dialogues, et parvient à figurer les doutes et les pressions sociales sans tomber dans les bons sentiments. Bref, une pièce joyeuse et intelligente comme on aimerait en voir tous les jours.

Déviant.e.s, du collectif Birdland à la Condition des Soies, 18 euros.

Journaliste

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