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Agathe Saint-Maur, portrait d’une jeunesse qui brûle, brûle, brûle

© Francesca Mantovani / Editions Gallimard

La romancière et magistrate, pas encore la trentaine, a signé un premier roman paru aux éditions Gallimard, ressorti récemment en version poche.

Le rendez-vous est donné chez Jeannette, un café du dixième arrondissement, à quelques pas de la Gare de l’Est où Agathe Saint-Maur a ses habitudes. On arrive avec quelques minutes – quelques dizaines de minutes – de retard et on la trouve assise sur une des banquettes du fond, le regard perdu dans un verre de coca. Elle remonte ses lunettes sur son nez et nous gratifie d’un sourire franc. De sel et de fumée, ce premier roman pour lequel on a souhaité la rencontrer, a fêté son premier anniversaire récemment. On comprend que les diverses rencontres en librairie l’on rodée à l’exercice du story telling, et qu’elle n’aura pas de problème à trouver les mots justes pour décrire sa démarche littéraire et répondre à la question que l’on est tenté de poser à tous les primo-romanciers : pourquoi écris-tu ?

Le récit, qui se passe au début des années deux mille dix, pendant les débuts sur la légalisation du mariage pour tous, raconte deux mondes qui se percutent. Le monde de Samuel, issu d’une certaine bourgeoisie parisienne (de gauche) et étudiant à Sciences Po et celui de Lucas, issu d’un milieu plus populaire, qui a intégré la même école en master. Ils se rencontrent et entament ce qui est leur première relation avec une personne du même sexe. Au même moment, les cortèges de la Manif pour tous défilent dans les rues et militent contre les droits des homosexuels. La dimension sociologique est omniprésente dans son livre et passe par des reliques, toujours présentes en toile de fond – la maison de vacances, la lecture de Libération, une certaine idée de la culture.

Charlie Hebdo et Télérama

Quand on lui demande d’où elle vient, elle, ses yeux pétillent et elle se met à raconter l’enfance à la campagne, près de Besançon, les parents instits, du genre plutôt cultivés, qui lisent Charlie Hebdo et Télérama. Viennent ensuite les études supérieures et le désir d’aller à Sciences Po Toulouse, faute de projet professionnel précis et un peu pour faire comme tous les camarades de l’époque. La jeunesse d’Agathe Saint-Maur n’est pas tout à fait terminée – la jeune femme fête ses vingt-huit ans cette année – mais elle la raconte déjà avec l’assurance de celle qui n’a plus rien à prouver. Ou peut-être avec l’assurance de celle qui en a déjà fait le récit mille fois. D’un geste, elle détache ses cheveux, aspire une gorgée de Coca, puis mentionne six mois passés à Londres à garder des enfants, avant de retourner en France étudier le droit pour devenir avocate.

Le métier ne lui convient pas, trop compliqué de se vendre et de gérer ses propres comptes, explique-t-elle. Elle devient finalement juge et passe ses journées à rencontrer des familles menacées d’expulsion, des individus qui croulent sous les dettes à causes de crédits à la consommation. On en profite pour glisser un mot sur la récente grève des magistrats, qui protestaient – fait ultra-rare – contre le manque de moyens de la justice, qui doit faire toujours plus avec toujours moins. Son droit de réserve ne lui permet pas de dire pour quel parti politique elle vote, mais ne l’empêche pas de déplorer ses conditions de travail : le manque de moyens et la politique du chiffre, qui la contraint parfois à décider de l’avenir d’inconnus en quelques dizaines de minutes. Les conditions de travail sont difficiles, mais elle est passionnée.

Écrire sous les toits

On a envie de lui dire : “et la littérature dans tout ça ?” On le lui dit. Une passion qu’elle traîne depuis l’enfance. Comme la plupart des écrivains précoces, probablement. De petites fables écrites sur des carnets d’abord, puis des billets de blogs, et des carnets qui s’enchaînent et se remplissent, jusqu’à devenir ce premier roman, entamé il y a maintenant sept ans, alors qu’elle était en première année d’études supérieures, puis poursuivi durant un stage à Paris.

« J’écrivais la nuit, dans ma chambre de bonne qui donnait sur les toits du 17e arrondissement », se souvient-elle. On lui fait remarquer que c’est drôlement romantique, l’artiste maudit sous les toits. Sourire malicieux. « J’écris aussi en marchant dans la rue, sur le bloc note de mon téléphone. Nettement moins romantique. » Chaque chapitre, écrit comme un fragment de souvenir, était recopié puis inséré dans le livre, qui pouvait s’étendre comme ça jusqu’à l’infini. Sa construction le permet : il y a les chapitres où Samuel est un amant en deuil, à la morgue, à Sciences Po ; ceux où Samuel aime et déteste Lucas, où ils se disputent, se séparent, se retrouvent, se rencontrent, font l’amour. Autant de scènes de la vie quotidienne et de souvenir diffus, que l’on peut répéter à l’infini. Ça fonctionne. Le lecteur veut tout savoir sur Lucas, et Samuel pourrait raconter Lucas jusqu’à la fin des temps.

Éloge des fins heureuses

Elle n’est pas homosexuelle elle-même. On lui pose la question parce que souvent, les premiers romans c’est pour parler de soi ou de la famille. Elle répond que ce roman, c’était pour parler de personnes qu’elle a rencontrées et qu’elle a aimées. Qu’elle tient un peu de Samuel quand même. Mais aussi de Victoire, un personnage secondaire que l’on n’a pas pris la peine de mentionner dans cet article. À l’écouter, on sent qu’elle aime beaucoup. Et intensément. «  Les relations affectives me donnent beaucoup d’énergie, j’ai une capacité d’amour assez large », admet-elle. Elle regrette un peu d’avoir écrit un personnage mort – celui de Lucas, décédé dès le début du livre -, parce que les homosexuels meurent toujours dans la pop culture. Un truc qu’elle ignorait quand elle a commencé à écrire. Si c’était à refaire, elle trouverait plutôt une fin heureuse, en hommage à L’éloge des fins heureuses, de la romancière Coline Pierré.

Sa fin heureuse, à elle, c’est maintenant. Le livre s’est vendu à quelques deux mille exemplaires, et a été remarqué par une communauté de fans, avant d’avoir un écho dans la presse nationale. Le fondateur d’une école d’écriture l’a même invitée à donner des cours. Beaucoup de pression, mais elle a accepté et l’expérience lui a plu. Maintenant, elle pense à l’après, un deuxième bouquin, plus ambitieux dans sa structure. C’est plus de travail mais elle essaie, avec le soutien de son éditrice. Elle bosse aussi sur un documentaire, sur le temps qui passe, qui ressemblera à celui de Julie Gavras, qui recueille le témoignage d’enfants des beaux quartiers parisiens sur plusieurs années (Les Bonnes Conditions, Arte). «  Quand tu écris, tu déblatères. Là, au moins, tu laisses parler les gens… C’est chouette d’inverser les rôles. » Elle sourit. C’est vrai. C’est chouette.

De sel et de fumée, Agathe Saint-Maur, éditions Gallimard, 18 euros. Reparution du livre en édition poche chez Folio, le 21 avril 2022.

Journaliste

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