L’artiste Tacita Dean propose une exposition de ses oeuvres à la galerie Marian Goodman à Paris. Empruntant aux formes du film, de la photographie, de l’installation et du collage, l’artiste décline les motifs du temps et de l’image.
Tacita Dean est une artiste contemporaine qui est née en Angleterre et qui vit entre Berlin et Los Angeles. Dans l’exposition, plusieurs de ses projets présentés révèlent son intérêt pour la fugacité de certains phénomènes visuels et naturels mais aussi pour l’art du collage et du montage entre différents matériaux.
The Dante Project
Au rez-de-chaussée est présenté The Dante Project qui nous propose une déambulation fantasmée dans des lieux irréels. Tacita Dean a été invitée par le chorégraphe Wayne McGregor pour créer les décors scéniques de son spectacle le ballet mettant en scène La Divine Comédie de Dante. L’artiste a ainsi réalisé trois atmosphères pour les trois lieux que sont l’Enfer, le Purgatoire et le Paradis.

L’Enfer est représenté par un immense tableau noir sur lequel l’artiste a dessiné à la craie blanche des reliefs montagneux. La galerie ne présente pas cette pièce mais des photogravures qui ont servi à sa réalisation. Le Purgatoire est une grande photographie réalisée à l’appareil argentique qui a servi de toile de fond sur scène. Elle représente un arbre jacaranda qui, au printemps, se recouvre intégralement de petits fleurs violettes. Cependant, cette photographie positive, l’artiste l’inverse en négative. Elle fait alors ressortir un arbre au feuillage vert mis en relief par le recouvrement de l’arrière-plan au crayon blanc. Enfin, le Paradis représente des formes sphériques abstraites et colorées. Elles sont réalisées avec des gels colorés sur des pellicules de 35mm.
La matière de l’image
Tacita Dean aime particulièrement travailler la texture de l’image. Pour cela, elle n’utilise jamais les appareils numériques et se réserve exclusivement à l’appareil argentique. Elle trouve ce médium plus complexe en ce que l’on peut agir sur l’image en lui donnant des effets, en intervenant directement à même la pellicule ou sur le papier imprimé, en coloriant, en découpant.
Le monde se divise entre ceux qui sont arrivés dans le monde du numérique en tant qu’immigrants et ceux qui y sont nés. Nous sommes des immigrants du numérique ; mon fils est né dans ce monde.
Tacita Dean dans un entretien de 2007
La pellicule est la matière de création de l’artiste dans son film Antigone. Des captures du film sont exposés à la Librairie de la galerie. À cette occasion, Tacita Dean use de la technique de prise de vue qu’elle a inventée et qu’elle a nommée l’« aperture gate masking ». Cette technique réussit ce tour de force : capturer, non pas une image par photogramme, mais plusieurs en usant de caches apposés sur la pellicule avant son exposition à la lumière. L’image est tout sauf virtuelle. Elle est matière sur laquelle l’artiste peut intervenir.



Ce film travaille les deux figures tragiques d’Œdipe et d’Antigone dans un montage d’images. Tacita Deane met au centre le motif de l’aveuglement, à partir de celui d’Œdipe, en filmant notamment une éclipse. Sa technique l’oblige précisément à filmer à l’aveugle, sans savoir ce qu’elle capture et comment les images vont se rencontrer ensuite sur la pellicule. Elle laisse donc la place à l’accident et à l’inattendu. Filmer c’est, pour elle, ne pas voir et faire confiance. Le film ne suit aucun fil narratif. Il parle du fonctionnement du film lui-même. Il nous plonge dans l’expérience du temps, de l’apparition d’une image et de l’expérience du visible.
Aimer les artistes
Connue pour ses très beaux portraits d’artistes, Tacita Dean est une artiste qui documente aussi la vie et la pratique d’autres artistes (chose peu courante !). Elle les filme la plupart du temps chez eux. Au sous-sol de la galerie est présenté One Hundred and Fifty Years of Painting, filmé en 16mm, qui dure une cinquantaine de minutes.
Dans ce film, l’artiste enregistre une conversation entre deux artistes-peintres : Luchita Hurtado et Julie Mehretu. Ces deux femmes sont nées le même jour mais à cinquante ans d’intervalle. L’une va fêter ses cent ans alors que l’autre est au tournant de la cinquantaine. Filmées la plupart du temps en plan très rapprochées, les femmes se parlent de leurs œuvres, de la « peau du ciel », de leur art, de peinture, de couleur, de leur expérience d’exilée aux États-Unis, de la vie et du temps qui passe. Des plans de fleurs apparaissent. Une des deux gribouille tout en écoutant l’autre. On resterait là, des heures, conscient.es d’êtres les témoins privilégié.es de ces êtres qui échangent sur la vie, sa beauté et ses difficultés.
Exposition « Tacita Dean », Galerie Marian Goodman, 79 Rue du Temple, 75003 Paris. Jusqu’au 23 juillet 2022. Contact au 01 48 04 70 52. Horaires : ouvert du mardi au samedi de 11h à 19h.