À l’occasion du Prix BD des étudiants France Culture et Inrocks, la rédaction littéraire décortique les albums en lice. Cette fois-ci, c’est la BD Anna qui fait suite aux Mystérieux hasards de l’hiver (et autres histoires).
La bande dessinée Anna de Mia Oberländer, publiée chez Atrabile en 2022, est une compilation de courts récits sur le thème du rejet de la différence au sein de familles ou de villages dans la campagne allemande, des années 1930 à nos jours. Les douze chapitres nous présentent un personnage féminin jugé trop grand par ses pairs, et dont l’image de soi est conditionnée par de nombreux préjugés, jusqu’à la libération finale.
Un problème de taille
Les personnages dont on nous livre des morceaux d’histoire se prénomment tous Anna : l’autrice pousse le vice jusqu’à les différencier par des numéros, comme pour les priver d’une personnalité. La psychologie des personnages est en effet très peu développée : on imagine très bien la souffrance des jeunes femmes désignées comme anormales par leur entourage, mais on ne la voit pas.
Anna semble complètement blasée, ce qui renforce le caractère cruellement banal de la discrimination dont elle est victime. On comprend aussi la dimension universelle de ces histoires qui se répètent de génération en génération, ne subissant que de faibles variations formelles.
Les cases sont grandes (demi-page ou pleine page majoritairement), tout comme Anna qui est contrainte de se courber ou de plier ses longues jambes dans des contorsions improbables pour ne pas déborder de la page. Cette impression de compression est accentuée par la suppression de la gouttière (l’espace qui sépare deux cases) : la question de l’espace est centrale, et les grandes femmes en prennent visiblement plus que ce que permet la société.
Une esthétique risquée
À l’image du comportement des proches d’Anna, les dessins sont plutôt froids, cassants, géométriques et presque impersonnels. Les personnages se fondent dans le décor imposant que constituent les montagnes et leurs chaumières. Les couleurs sont souvent les mêmes, du vert et du orange principalement, parfois des couleurs ternes qui donnent une certaine uniformité, imitent le noir et blanc.
Très peu de contrastes donc, comme si l’œil ne savait plus distinguer les choses les unes des autres. Cela crée une impression d’ennui profond qui risque certainement de décourager certains lecteurs habitués à quelque chose de plus accrocheur.
On peut apprécier la cohérence qui se dégage d’un savant mariage entre un sujet et sa forme, savourer les quelques pages du dixième chapitre où l’autrice déploie son indéniable talent de dessinatrice dans un éclatement soudain, réfléchir un peu à ce que peuvent endurer les femmes grandes…
Mais tout de même, on se demande si tout cela suffit à faire un livre dont on se rappellera, une histoire qui nous touche, un débat, un déclic. Peut-être qu’il manque de la profondeur, de la matière, ou simplement une plus grande liberté ? À vous de voir !
Anna par Mia Oberländer, trad. de l’allemand par Charlotte Fritsch, éditions Atrabile, 224 p., 22€