Marine Hugonnier expose actuellement au Jeu de Paume. L’artiste présente des films, des installations, des photographies qui questionnent le fonctionnement actuel de notre rapport aux images. Elle nous invite à penser notre façon de regarder le monde.
Comme Julien Gracq qui en appelait à une littérature authentique, contre les manières du monde littéraire français, dans son essai La Littérature à l’estomac paru en 1950, Marine Hugonnier prône un cinéma à l’estomac. Elle travaille à fonder un cinéma qui reste alerte quant aux façons de produire, de lire et de transformer les images qui abreuvent notre quotidien. Son cinéma est critique et fait d’images décalées qui cherchent à bousculer nos idées reçues.
Un regard critique et aiguisé
L’artiste met en place différents dispositifs qui nous permettent de questionner et d’expérimenter nos façons de percevoir. En nous rendant acteur de notre mode d’appréhension, Marine Hugonnier cherche à provoquer une prise de conscience.
Ainsi, grâce à son installation Flower, elle nous place en situation d’être leurré par une illusion visuelle. En entrant dans la première salle, nous découvrons une grande plante fleurie posée sur un promontoire. Cependant, en lisant la description de l’œuvre, nous comprenons que ces pétales blanc immaculé ne sont pas « naturels » mais ont été modifiés et rehaussés à l’aide d’une bombe de peinture blanche. Ce que nous avions pris comme naturel se révèle être une création.
Dans l’installation Candle, une bougie se consume, posée sur un miroir à l’horizontal, sur lequel se reflètent différentes images selon le point de vue que nous adoptons. Face à la fenêtre, la bougie semble flotter dans une mer de nuages alors que dos à la fenêtre, le fond ne renvoie que le blanc des cimaises de l’exposition. L’artiste offre un agencement qui nous permet d’éprouver le fait que notre lecture du réel varie selon la perspective adoptée. Le même phénomène, perçu selon différents points de vue, n’apparaît pas tout à fait de la même manière.
Différents régimes d’images
Une image n’est jamais neutre. Elle est construite par des choix esthétiques (cadrage, montage, éclairage) et déterminée par des conventions culturelles, sociales et politiques. C’est pour cela que pour Marine Hugonnier, un régime d’images (une façon de faire des images et de leur faire dire des choses) est toujours lié à une certaine idéologie politique. Faire des images c’est parler de notre façon de voir le monde. Et, si une image est construite par des normes, alors elle peut être déconstruite, modifiée, critiquée. De façon ludique, son œuvre Forest (2014) rend sensible cette possibilité infinie de combinaison des images qui peuvent se faire et se défaire. Elle expose un livre découpé par franges. En tournant les morceaux de pages, il est possible de composer une multitude d’images différentes.
Aussi, Marine Hugonnier mêle différents régimes d’images en empruntant aux œuvres artistiques, aux images d’actualité, aux cartes météorologiques, aux films pornographiques, aux encarts publicitaires. Dans sa série Cinetract, elle réalise des montages d’archives qui mêlent ces différents régimes d’images. Ces films critiques nous invitent à questionner ce que l’on voit, les idées véhiculées et le monde proposé. Marine Hugonnier questionne à la fois la façon de filmer ce que l’on filme en luttant contre une certaine vision anthropocentrique pour proposer un regard post-capitaliste, non-genré qui puisse mettre à l’image, avec respect, les femmes, les enfants, les animaux, les paysages. Elle interroge aussi la distance entre elle et ce qu’elle filme. Elle ne fait pas de cette distance une évidence mais quelque chose à penser.
Filmer la vie
La vie ne débrouille jamais complètement les fils de l’imagination et de la réalité. Aussi, les films de Marie Hugonnier proposent une « économie des regards » où l’approche documentaire, touristique, anthropologique et fictionnelle du réel ne se distinguent pas mais s’enrichissent en se rencontrant. Cette ambiguïté est à l’œuvre dans son film Apicula Enigma qui reprend les codes du documentaire animalier en filmant des abeilles.
Toute sa recherche consiste à négocier une juste distance entre ceux qui filment et les abeilles. Elle ne cherche pas la précision de l’image mais plutôt une image palpable la distance et par là, du lien, entre humains et animaux.
D’une autre manière, fiction et réel dansent ensemble dans l’entretien qu’elle réalise avec le philosophe italien Antonio Negri en 2020. Leur dialogue fait s’entrecroiser les réflexions à voix hautes de Negri (les conditions de notre contemporanéité, la nécessité d’une vie commune et d’une politique de résistance) et une fable inventée par l’artiste qui raconte la vie d’un groupe d’enfants dans une maison à ciel ouvert où, jamais il ne fait nuit car le monde est éclairé alternativement par deux soleils. Cependant, un jour, une éclipse se produit plongeant ce monde dans l’obscurité. Les enfants, qui ne connaissent que la lumière, se mettent alors à utiliser le feu pour communiquer. Les images qui défilent, une maison brûlée et le philosophe assis dans son fauteuil, montrent qu’une autre lecture des images est possible pour penser un nouveau monde.
Exposition « Cinéma à l’estomac », Jeu de Paume, 1 place de la Concorde, 75 001 Paris. Jusqu’au 18 septembre 2022. Contact au 01 47 03 12 50. Horaires : ouvert le mardi (12h à 21h), le mercredi, jeudi et vendredi (12h à 20h), le samedi et dimanche (11h à 20h) et fermé le lundi.