Chaque mois, la rédaction littérature vous offre un petit résumé de quelques nouveautés BD, fraîchement parues. Pour le mois de juin, des récits de luttes, de reconstructions, d’invisibles et de conquêtes oniriques.
« La Louve boréale » – Núria Tamarit
Après avoir travaillé en tant que dessinatrice sur Géante de Jean-Christophe Deveney, l’autrice espagnole Núria Tamarit vient de dévoiler son premier roman graphique. Éditée aux éditions Sarbacane, La Louve Boréale est une histoire d’hommes, mais surtout de femmes.
Partie de chez elle pour y revenir les poches pleines d’or, Joanna entreprend un voyage à travers le Nouveau Monde, une terre glacée et hostile. Elle va affronter des dangers divers et variés, réels ou non. Parfois violent et souvent touchant, le roman graphique est prenant et on se laisse volontiers happer. Sous ses airs de conte philosophique, l’œuvre dégage un message féministe et écologique fort, qui ne ménage pas le lecteur. La terre y est comparée aux corps des femmes, considérées comme des objets sur lesquels les hommes ont tous les droits. Une dimension décoloniale émerge également, comme les questions de catharsis et de sororité. Toutes ces thématiques ne s’additionnent pas mais font corps et sont intimement liées dans une histoire envoûtante. Alors pourquoi se priver de ce chef-d’œuvre ?
La Louve boréale par Núria Tamarit, éditions Sarbacane, 216 p., 28€
Basile Hervé
« Feuilles volantes » – Alexandre Clérisse
Trois temporalités se superposent dans cette bande dessinée aux couleurs joyeuses : la fin du Moyen-Âge, l’époque contemporaine et le futur. Organisées avec de nombreux jeux de perspectives, la BD Feuilles volantes rend hommage à l’art dessiné. Les trois personnages présentés se passionnent pour le dessin et réfléchissent dans leur époque à ses enjeux. Cela permet par ricochet à Alexandre Clérisse de s’amuser dans son propre travail et de tester des pistes nouvelles et visuellement très réussies.
Feuilles volantes par Alexandre Clérisse, éditions Dargaud, 144p., 23€
Anaïs Dinarque
« Les Reflets du monde – En lutte » – Fabien Toulmé
Après la bouleversante Odyssée d’Hakim qui racontait le calvaire d’un jeune migrant, Fabien Toulmé récidive et tente de raconter, d’un trait simple et émouvant, le combat d’autres invisibles de notre monde. Avec En Lutte, l’auteur questionne la notion d’engagement à travers les luttes de femmes au Liban, au Brésil et au Bénin qu’il observe et tente de saisir. Un album humble et drôle, qui donne à voir les luttes féministes autrement que par un prisme européen.
Les Reflets du monde – En lutte par Fabien Toulmé, éditions Delcourt/Encrages, 336 p., 24€95
Emma Poesy
« Le manoir de Chartwell » – Glenn Head
Le Manoir du Chartwell, du nom d’un véritable manoir victorien construit au XVIe siècle et ancienne résidence de Winston Churchill est, dans ce roman, le nom d’une école privée catholique et le lieu du passé de l’auteur, qui revient sur la période de sa jeunesse durant laquelle il fut victime d’inceste. De ce récit âpre, Glenn Head parvient à tirer un récit prenant et politique sur le tabou de la pédophilie à une époque où l’on laissait les criminels agir en toute impunité. Et à raconter l’épreuve que constitue le retour à la vie.
Le Manoir de Chartwell par Glenn Head, trad. Samantha Goldfarb, éditions Delcourt, 240 p., 27€95
Emma Poesy
« Céleste » première partie – Chloé Cruchaudet
C’est le centenaire de la disparition de Marcel Proust, et l’effervescence dans le milieu de l’édition. Pour célébrer l’anniversaire du maître de la phrase, Chloé Cruchaudet, connue notamment pour Mauvais genre (2013), s’est intéressée à la gouvernante et amie de l’écrivain, Céleste Albaret. Au départ rien ne prédestinait cette femme de Lozère à s’occuper d’une maison. Allergique aux tâches ménagères, la jeune femme entre pourtant au service de l’écrivain en 1913. À cette date, Proust vient de publier Du côté de chez Swann à compte d’auteur chez Grasset (Gallimard a refusé le manuscrit qu’il republiera en 1919). C’est avec beaucoup de légèreté et d’humour que Chloé Cruchaudet dessine ses personnages. L’absence de cases permet à ses dessins à l’aquarelle de déborder et de prendre des formes très libres. Inventif, sensoriel, onirique, Céleste est la première partie d’un dyptique consacré à une relation inattendue et oubliée.
Anaïs Dinarque
« Breakwater » – Katriona Chapman
Un brin (et embrun) de mélancolie se dégage de Breakwater. Chris travaille dans un cinéma un peu délaissé des spectateur·ices de Brighton. À 40 ans elle y est employée depuis déjà la moitié de sa vie. Plutôt introvertie, elle voit ses anciens rêves d’avenir se raviver à l’arrivée de Daniel, nouvel employé du cinéma qui a la vingtaine. Alors que tout les oppose, la solitude va les rapprocher et une amitié va naître. Tout en nuances de gris, cette BD suit son rythme calme et posé, certaines pages entières consacrées à des petits gestes (bâillements, lecture etc). En 2020 Breakwater a été sélectionné parmi les 10 meilleurs romans graphiques de l’année selon le New York Times.
Breakwater par Katriona Chapman,trad. Sidonie Van den Dries, éditions Futuropolis, 168 p., 21€
Anaïs Dinarque
