Au tournant des années 2010, Ridley Scott entame une mue intéressante avec Prometheus puis Cartel (The Counselor) en 2013. Ce dernier a été un échec critique et n’a pas rencontré un succès en salle. Ce diamant noir est à retrouver sur Ciné+.
Ridley Scott occupe une place un peu à part dans l’imaginaire cinéphile. Parfois décrié assez injustement (ici, par exemple) ou défendu largement comme en témoigne l’accueil critique de The Last Duel, le réalisateur britannico-américain a touché à tous les genres. Au départ, il a connu la gloire avec Alien et Blade Runner, et une partie de la critique les considère encore comme l’âge d’or du cinéaste.
Lorsqu’il tourne Cartel en 2013, il prolonge des réflexions déjà présente dans Prometheus et depuis bien longtemps en réalité. Si le film s’inscrit dans la saga Alien, la créature n’a qu’un rôle mineur dans l’histoire de ce nouveau chapitre. Ce qui intéresse Ridley Scott, ce n’est plus vraiment l’humain (le personnage principal est un androïde). Il est totalement aliéné par le capitalisme et le réalisateur semble indifférent au destin de l’humanité. Sa misanthropie est accentuée par la mort de Tony Scott, son frère, qui se suicide à l’été 2012.
Il n’est donc pas surprenant que Ridley Scott adapte à l’écran un scénario de Cornac McCarthy (l’écrivain génial de La route). Son univers suinte la mort, la disparition de la morale et la fin des idéaux. Dans Cartel, l’auteur décrit la descente aux enfers d’un avocat ambitieux, pris entre la volonté de s’enrichir et son incapacité relative à “se salir les mains”. Si la version proposée en salle et diffusée sur Ciné+ est passionnante, nous vous conseillons la version longue disponible uniquement en Blu-ray.
Virilité et capitalisme
La scène d’ouverture donne l’impression d’évoluer dans une ambiance proche des œuvres de Terrence Malick, entre onirisme et poids de la matière. Deux corps s’étreignent sous les ondulations d’un drap blanc, avec une fenêtre ouverte sur le monde. Au même moment, le temps d’un générique, un trafic de drogue se met en place. Ce que le film va mettre en place, et à plusieurs reprises, c’est la jubilation érotique du capitalisme. On ne verra quasiment jamais la drogue, tout passe par le verbe et le corps. Aucun des personnages principaux ne va se salir les mains directement. La violence est délocalisée et déléguée. Ce qui occupe les corps, c’est de parler et de compter les points.
Dans une autre scène, le personnage de l’avocat (Michael Fassbender) et un chef de cartel (Javier Bardem) discutent femmes et affaires dans un bar qui allie modernité et goût des icônes. Le mafieux raconte une nuit où sa femme (Cameron Diaz) a retiré sa culotte sur le pare-brise de la voiture avant de frotter ses jambes le long de la vitre. Cette scène est montrée par Ridley Scott et laisse entrevoir une pointe d’angoisse. Le personnage de Javier Bardem semble dans l’embarras. il est partagé entre l’excitation et l’angoisse générée par le machiavélisme de sa compagne.
Le cinéaste a l’intelligence de s’attarder sur le personnage de l’avocat qui ne semble pas comprendre l’intérêt de cette histoire. Pendant le récit, il regarde une photographie de Steve McQueen, figure importante dans la construction des hommes de la génération des personnages principaux. Le film semble dresser une hypothèse : les flux du capitalisme sont un réservoir de virilité. L’accroissement de richesse semble être un moyen de bander.
De l’intérieur
C’est là où Ridley Scott est malin. L’esthétique quasi publicitaire du film témoigne de la fascination du cinéaste pour cette iconographie. Il ne met pas de côté l’aspect séduisant de cette machine rutilante, il l’analyse de l’intérieur. Une heure de film s’écoule sans qu’aucun coup de feu n’ait été échangé. Le premier meurtre est sec et violent. Il s’agit d’une décapitation d’un motard avec un fil de fer. La scène est pliée en quelques secondes et a des répercussions directes à des kilomètres. Les décors s’enchaînent et la mort guette à chaque plan.
La mort la plus gore du film est liée aussi à une décapitation. Un homme est pris au piège d’un cercle de fer qui lui serre la gorge. Après quelques secondes d’étonnement, Il tente de retirer l’ensemble mais ses doigts sont tranchés. Dans la version longue, sa tête est ramassée comme une vulgaire crotte de chien, au beau milieu des passants. Tous les hommes sont défaits et vaincus par le personnage de Cameron Diaz, une sorte d’ange exterminateur.
Dans une courte scène, elle se rend à l’église pour se confesser. Elle prend un malin plaisir à déstabiliser le prêtre en voulant lui raconter ses relations sexuelles. Ce moment en champ/contre-champ débouche sur la fuite du prêtre du confessionnal. Personne ne lui résiste, ni les représentants de Dieu sur Terre ni les mafieux cyniques. A la fin du film, les affaires reprennent une nouvelle fois. Les flux ont de beaux jours devant eux.