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Rencontre avec Mikhaël Hers : « On se sent proche des gens imparfaits et d’une image imparfaite »

Mikhaël Hers
© Pyramide Distribution

Quatre ans après Amanda, le réalisateur Mikhaël Hers présente Les Passagers de la nuit, une chronique familiale traversant les années 1980. Un film romanesque qui explore les liens entre les personnages dans un bleu crépusculaire offrant à Charlotte Gainsbourg l’un de ses plus beaux rôles. Rencontre.

Après Amanda, quelle a été la genèse de ce nouveau long-métrage ? 

Ce sont toujours plusieurs choses qui s’agrègent. Il y a du concret, comme l’envie de filmer ce quartier, Beaugrenelle. C’est un quartier un peu étrange avec ses grandes tours sorties de terre, la banlieue que l’on voit au loin, la Maison de la radio et la Seine en contre-bas. Ça n’a pas beaucoup été filmé et c’est toujours intéressant de se dire que l’on va investir en topographe un quartier. Ensuite, la radio de nuit, c’était un milieu qui me fascinait quand j’étais plus jeune. C’est tout un imaginaire avec des images très fortes. Et évidemment, le portrait d’une mère qui vient d’être séparée de son mari, qui se retrouve à charge avec deux jeunes adultes. Elle doit faire face à un nouveau quotidien. Et je voulais explorer une temporalité de récit un peu plus étendu que ce que j’avais fait jusqu’à présent, même si ça reste la tonalité de la chronique, le récit s’étend depuis quelques années.

Mais le vrai fondement du projet et que j’avais envie de faire depuis très longtemps, c’est une plongée dans les années 1980 qui sont les années de mon enfance. Je souhaitais essayer de saisir quelque chose des sensations que m’inspirait cette époque, les images, les sonorités, les tessitures… Pas dans une perspective nostalgique, car ce n’est pas un paradis perdu pour moi, mais je me sens vraiment construit et fait de ces années-là. Et on dit qu’on est de son enfance comme d’un pays. C’est quelque chose que j’éprouve profondément, l’envie de revisiter ça à l’aune du présent. 

Tu étais enfant dans ces années-là et pourtant ce n’est pas du côté de l’enfance que tu t’es tourné mais vers des personnages adultes et jeunes adultes…

Ça fait partie des privilèges du cinéma, de pouvoir réinvestir des époques à un âge que l’on n’avait pas forcément à ce moment-là…

… Et en même temps, tu inaugures le film avec un événement marquant comme l’élection de Mitterand…

J’étais tout petit, mais je l’ai vécu. Je sentais bien qu’il se passait quelque chose d’assez singulier. C’est la première fois que je comprenais qu’il se passait quelque chose qui dépassait le cadre de la famille, de l’entourage ou du foyer et qui a une résonance très forte dans l’intimité. C’est assez marquant, tu ne le formules pas, tu ne mets pas forcément de mots dessus, mais j’ai un peu plongé mes personnages dans cet état. Ils traversent cette liesse populaire, ce moment de joie sans vraiment y prendre part. Et c’était une manière assez efficace d’inscrire le film dans ces années-là. Je pense que chacun entretient un rapport intime avec ça, et même quand tu ne l’as pas vécu, ça évoque très fortement cette décennie. 

L’écriture justement a une grande place dans ton cinéma. Noée Abita confiait que le scénario des Passagers de la nuit était une oeuvre littéraire à lire…

Une œuvre, je ne sais pas… Mais c’est vrai que le film est très proche du scénario. Comme ça ne repose pas sur une grande histoire et que c’est un matériau du quotidien dans les relations entre les gens, on pourrait penser que c’est presque improvisé, mais on suit un scénario. 

Et comment est né ce magnifique personnage romanesque interprété par Charlotte Gainsbourg ? 

C’était l’envie de prendre une femme à ce moment-là de sa vie dans un parcours d’émancipation, à un moment où elle doit refaire sa vie. Et aussi de dépeindre un personnage qui échappe un peu aux classifications. Je trouve ça toujours très touchant les personnages ambivalents, qui sont habités par des dimensions très différentes. Je voulais un personnage qui soit parfois naïf, d’autres fois très lucide, que l’on peut trouver timide et timoré et puis à d’autres moments très audacieux comme aller frapper à la porte de cette radio. Un personnage qui est très entré et d’autres fois beaucoup plus frontal. J’aime ses deux dimensions et Charlotte, je ne la connaissais pas, mais de ce que je pouvais me représenter d’elle, elle m’inspirait un peu ça. Une grande vulnérabilité et une grande sensibilité, qui affleure et en même temps elle est très forte et je trouve ça très touchant.

Tu pensais à elle directement dès l’écriture ? 

Pas en écrivant, mais une fois que le film était écrit, c’était elle. C’est la première personne à qui on a proposé.

Ce qui est surprenant dans ton film, c’est la variété de formats entre les images d’archive, le 35 mm, le numérique… Ça  donne une image très organique et une texture en contraste avec l’évanescence des sentiments qui traversent tout ton cinéma…  

Comme c’est un film dans les années 1980 et plutôt sensoriel, je le voulais plutôt impressionniste par la contagion de ces différents formats d’image entre ce que l’on a filmé nous, ce que l’on a filmé avec la petite caméra Bolex, qui est mécanique et donne ce grain, les archives d’amateurs que l’on a inséré… La collusion de tous ces formats d’images donnerait à ressentir plus fortement ces sensations d’époque que la reconstitution la plus luxuriante soit-elle, qui a toujours un petit coté artificiel. Alors bien sûr il y a aussi de la reconstitution, car il le faut, mais c’est pris dans le mélange de ces formats. 

© Pyramide Distribution

Pour toi, on se rapproche donc plus des années 1980 par l’image et la mise en scène ? 

Oui par le grain de l’image et la différence de grains. On a l’impression que l’on peut toucher les choses sur ces formats-là, ce qui est à l’opposé d’une image très définie, ultra parfaite. Le sentiment d’imperfection, c’est quelque chose qui m’est cher chez mes personnages. Mais aussi dans l’image. On se sent proche des gens imparfaits et on se sent proche d’une image imparfaite. C’est quelque chose sur laquelle on peut avoir une prise. Les images parfaites, on glisse dessus, comme les gens. 

Ce travail de l’image a du s’accompagner d’un soin important au son pour retranscrire cette tessiture dont tu parlais ? 

Oui de musique surtout. Il y a les chansons qu’on entend, qui sont celles de l’époque et surtout toute une bande-son avec ses couleurs de l’époque, ses tessitures un peu synthétiques et électroniques. Et même temps elles se déploient sur des vrais thèmes, des mélodies qui scandent le film. On s’habitue progressivement aux morceaux. Ils reviennent et on devient familier de ces morceaux. J’espère qu’on les aime. Comme si le film était le mouvement d’une grande chanson. 

Là, encore, comme dans toute ta filmographie, il y a un intérêt pour les parcs qui sont souvent le décor de scènes cruciales, qu’est ce que ça représente pour toi  ? 

Ce sont des parcs, mais dans la ville, oui. Ça me touche. Je viens de là, de ces paysages-là. J’ai grandi en banlieue. Je suis vraiment quelqu’un de la ville, je ne pourrai pas vivre à la campagne, je suis citadin. Mais en même temps, j’ai vécu dans ces endroits où il y avait tous ces parcs. Il y a la promesse de la ville. On sait qu’on y est et en même temps, on peut être un peu en périphérie, un peu en retrait. Il y a un côté cocon d’avoir la possibilité du cœur des choses, de pouvoir les toucher et en même temps de se mettre en retrait. 

Ça rejoint ton goût des ambivalences et des contrastes, là encore…

C’est être dans les choses et aussi un peu à côté. 

Et à travers ça, le véritable sujet du film semble être les liens qui unissent les personnages, ceux qui se créent entre eux, recomposant des familles…

C’est un film sur les liens, sur le regard que se portent les personnages les uns sur les autres et sur le désintéressement, je crois. C’est une notion que je n’ai pas nécessairement formulée quand j’écrivais le scénario, mais que je trouve assez touchante même si c’est peut-être un peu naïf de faire les choses sans intérêt, c’est-à-dire sans l’attente d’un retour. Peut-être que c’est naïf, car on fait toujours les choses dans l’attente d’un retour, ne serait-ce que dans l’attente d’être aimé ou d’être apprécié, mais il y a quelque chose qui me touche dans ce personnage d’Élisabeth. Elle est dans une forme de désintéressement que je trouve être une qualité assez précieuse.

Mais tous tes personnages non ?

Certainement un peu, oui. C’est moi qui les ai faits donc il y a certainement une familiarité.  

© Pyramide Distribution

Ton cinéma prend souvent le temps pour installer son récit, ce qui est assez rare, comme une forme de lenteur de mise en scène…

J’essaie de trouver des films qui épouseraient l’idée que je me fais du mouvement de la vie. Et il est fait de moments forts, de temps creux, parfois de digressions. La vie est faite comme ça. C’est comme ça que je la ressens. Les discussions sont faites comme ça, on ne va pas directement au but. Et je trouve que les scénarios et les films doivent intégrer tous ces éléments-là et pas pour les rendre ennuyeux ou complaisants, mais essayer de trouver une façon de rendre tout ça beau. Encore une fois comme une chanson avec ses couplets, ses refrains, ses ponts. Le cinéma doit prendre en charge ça. Je me sens compris quand c’est le cas. 

C’est exactement, ce qui rend tes personnages très humains dans cette ambivalence proche des spectateurs…

Tant mieux, je suis très content si ça atteint ce but là. 

Il y a dans Les Passagers de la nuit, des références au cinéma de ces années-là, les personnages vont au cinéma et il y a la forte présence de Pascale Ogier dans Les Nuits de pleine lune et La Pont du Nord… 

C’est effectivement cette figure fantomatique de Pascale Ogier qui habite le film et qui fait écho au personnage de Talulah (Noée Abita). C’est une actrice qui m’a bouleversé et fasciné. C’est une passagère de la nuit. Dans une des projections que l’on a faite, quelqu’un a dit : « Quand on regarde un film, on est un peu tous passagers de la nuit. On est embarqué dans cette obscurité ensemble et il y a un train comme ça qui passe et il y a les images ». Et c’est assez juste. Je suis sûr que le cinéma va perdurer. Il traverse une mauvaise période, mais c’est quelque chose dont on a besoin. Ce sera toujours là. 

D’ailleurs ces passagers de la nuit, qui on donné son nom à l’émission de radio et au film, c’est très beau, ça vient d’où ?

C’est assez poétique. Je trouve qu’un titre doit être soit très concis ou alors un peu mystérieux comme ça. C’est horrible les titres qui ont l’air de résumer le film. Je me disais que ça pouvait être typiquement un titre d’émission de radio de nuit. Il y en a qui s’appellent « Les Routiers de la nuit », d’autres « Les Choses de la nuit ». Les Passagers de la nuit ça sonnait très bien.

Ce sont des personnes qui passent dans les vies comme le personnage de Talulah ? 

Oui c’est ça, tout à fait…

… Qui perturbent et créent du lien dans un même temps ?

Des personnages qui créent du lien surtout, qui animent. Perturber, c’est peut-être une notion un peu péjorative, mais elle anime cette famille. 

Et le choix d’Emmanuelle Béart pour incarner cette voix nocturne ?

C’est une voix extraordinaire. Et comme c’est un personnage un peu romanesque et par ailleurs qui est très important, mais qu’on ne voit pas tant que ça, il fallait quelqu’un qui ait un vrai charisme. Et avec sa voix, on pourrait très bien l’imaginer en animatrice, en grande prêtresse de la nuit. Je le sentais bien. 

Un jour, un réalisateur qui a aussi grandi dans les années 1980 et en a fait également le cadre de son film m’avait confié qu’il y avait un écho entre la jeunes des années 80 et celle d’aujourd’hui… qu’est ce que tu penses de ça ?

J’avoue que la jeunesse d’aujourd’hui, je la connais moins. Mes enfants sont très jeunes. Mais c’est possible. 

J'entretiens une relation de polygamie culturelle avec le cinéma, le théâtre et la littérature classique.

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