LITTÉRATURE

« Pourquoi pas la vie » – L’autre Sylvia Plath

Pourquoi pas la vie
© éditions de L'Iconoclaste

Dans ce premier roman destiné à un public d’adultes, Coline Pierré rend à la poétesse Sylvia Plath, suicidée à l’aube de ses trente ans, un hommage politique aux accents feel good.

L’histoire aurait dû se souvenir de Sylvia Plath. La jeune femme brillante, poétesse, autrice de romans et de nouvelles, est une étoile montante de la littérature, à une époque où les femmes ne disposent que de peu de droits. Sylvia elle-même est parfois éclipsée par l’ombre de son mari, le poète Ted Hugues, reconnu aujourd’hui comme l’un des plus talentueux de sa génération. Dépressive chronique, mère de deux enfants, dépourvue de « chambre à soi », qualifiée à plusieurs reprises de « femme de », elle se suicide à trente ans à peine, mettant fin à ses rêves de devenir « la plus grande poétesse des États-Unis  ». Sylvia Plath se met la tête dans un four. Elle meurt. Elle n’a que trente ans.

« Aucune personne de trente ans ne devrait crever la tête dans le four. Ce n’est pas un monde acceptable », juge Coline Pierré en préambule de ce livre. L’autrice de Pourquoi pas la vie a longuement parcouru l’œuvre de la poétesse suicidée, qui raconte pour la toute première fois le quotidien de celles qui jusqu’alors n’avaient pas de voix : les femmes, les désillusions de la vie domestique et les rêves de grandeur qui viennent s’écraser sur la barrière infranchissable du genre. Sylvia Plath, avant de mourir, raconte. Elle raconte les désirs empêchés, la société conformiste et inégalitaire dont elle fait partie. Sylvia Plath voulait être un homme, un Dieu, « un rêve à rendre les hommes fous », « épouser le plus grand poète de l’Angleterre » … Pourquoi pas la vie tente de lui rendre, dans un hommage joyeux et coloré, cette vie à laquelle la poétesse avait pourtant droit.

Bienvenue, Sylvia Plath

L’histoire de Sylvia Plath reprend donc là où elle s’est terminée. Personne ne mérite de finir la tête dans le four. Ce soir-là, la poétesse allume l’appareil, place des serviettes mouillées pour que ses deux enfants qui dorment dans une chambre à l’étage ne soient pas intoxiqués au gaz. L’infirmière de garde est censée rappliquée, dans juste assez de temps pour que Sylvia puisse mourir et que les deux bambins soient sauf.

Mais le hasard de Coline Pierré a prévu autre chose pour Sylvia Plath. Sa jeune fille se met à pleurer, retarde de quelques minutes son suicide. L’infirmière débarque. Comprend. Puis Ted, devenu son ex-mari après avoir eu une liaison avec une autre femme, arrive, lui aussi.

L’autrice fait le récit de ces quelques semaines durant lesquelles, petit à petit, Sylvia Plath regagne le monde qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’habiter, celui des vivants. Ce sont les années soixante mais Coline Pierré est bien décidée à rendre justice  : Sylvia doit pouvoir de nouveau écrire, confie à Ted la garde des enfants.

Le féminisme sauve la vie

Les mentalités féministes du 21e siècle infusent cette œuvre et cette héroïne ressuscitée, qui revendique finalement le droit au talent, au temps pour soi, à être débarrassée d’une charge mentale qui aujourd’hui encore n’est pas équitablement partagée.

«  On pourrait renverser la problématique, dit Greta, et réfléchir à la raison pour laquelle on ne demande jamais aux hommes de sourire. C’est quoi le problème avec le sourire  ? On ne peut être pris au sérieux si on a l’air sympa  ? Est-ce que paraître austère et grave nous octroie un supplément de profondeur  ?  »

Pourquoi pas la vie, Coline Pierré

Mieux, encore, c’est le féminisme qui sauve Sylvia et lui offre un futur désirable. Dans la vraie vie, la poétesse est devenue célèbre à titre posthume pour avoir raconté les destins empêchés des femmes. Dans ce monde parallèle et joyeux, elle se découvre un intérêt pour ses propres œuvres et prend conscience de leur caractère révolutionnaire.

La poétesse fait un pied de nez à la culture savante des hommes. Et écrit, avec une amie lesbienne, une comédie musicale féministe à partir de l’un de ses livres. Fait la rencontre d’un autre homme. Qui, contrairement à Ted et sa violence, à Ted et sa faculté à absorber toute la lumière sur lui, valorise les œuvres de Sylvia. Les considère pour ce qu’elles sont  : du grand art. Un destin autrement plus joyeux que la réception à titre posthume du prix Pullitzer que Sylvia a finalement su arracher, même morte, aux institutions de son temps.

Éloge des fins heureuses

Les textes dans lesquels tout roule pour le héros peuvent parfois être agaçants. Parce qu’ils ne rendent pas compte de la vraie vie, de ses tumultes. Dans Pourquoi pas la vie, le même mécanisme est à l’œuvre mais il est politique cette fois-ci, il rend justice. L’habitude des livres pour enfant se ressent dans la plume de Coline Pierré, tout glisse sur ses personnages, tout va vers le mieux, comme on remonte à la surface.

Ce geste d’écriture, qui se veut performatif – si Sylvia Plath survit, ce sont les femmes qui survivent avec elle. Le souci du réalisme est évacué, on ne baigne plus dans les cruautés de l’existence, mais dans le monde tel qu’il devrait être. Plus que jamais, la fin heureuse est politique et désirable.

Pourquoi pas la vie de Coline Pierré, éditions de l’Iconoclaste, 19 euros.

Journaliste

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