LITTÉRATURE

« Mes migraines » – Les mots de tête

© Edition L'arbre Vengeur

Hector Schmidt est un homme dont la vie est rythmée par les maux de tête, maladie chronique qui permet de faire sa connaissance. Mes migraines fait le récit d’un être qui observe la vie et la littérature au travers de sa douleur.

Alors que le narrateur subit des crises de céphalées à répétition depuis son enfance, il décide à trente-neuf ans de devenir écrivain. Il fait alors ce constat puissant  : la migraine «  est une maladie qui se décrit plus qu’elle ne s’observe  ». 

Après des années de migraines et de recherche éperdue de solution miracle, le narrateur se résout finalement à ne plus chercher le remède mais plutôt à mettre en mots ce que ces expériences disent de son être et de son existence. Ce qu’il analyse d’abord est que la migraine n’est jamais la même. Les causes et les effets diffèrent toujours légèrement. La migraine se révèle insaisissable et incompréhensible. Les névralgies vécues deviennent alors le sujet central du livre. 

«  Le charme discret de la migraine »

Le moteur fictionnel du personnage devient alors la traque de cette maladie. Hector commence par décrire sa «  vie migraineuse  » qui détermine chez lui un certain caractère et style de vie. Pour tenter de saisir, dans les filets du langage, la migraine, il égrène aussi ses définitions. La migraine est d’abord une affection clinique qui provoque une vive douleur mais elle est aussi la maladie d’une classe sociale. Hector Schmidt a la maladie de son rang, celle de la bourgeoisie qui a le luxe d’avoir fait des études et de connaître l’ennui et le loisir  : 

Toute la fatalité d’une maladie condensée en une phrase. J’avais la maladie qui me convenait  : la migraine. Maladie parisienne des gens de lettres et des petits employés de bureaux – je suis les deux à la fois, la migraine est liée à l’oisiveté et à l’ennui, à la bourgeoisie et à la vie citadine. J’avais la maladie de mon milieu, de mon éducation, de mes gouts, j’avais la maladie que je méritais.

L’ouverture de ce livre laisse d’abord le lecteur désorienté. Il ignore s’il s’apprête à lire un essai, théorie des différentes approches de la migraine ou bien un roman, conte de la vie et des péripéties d’un être. Ce livre s’inscrit d’ailleurs à la frontière des deux genres. L’auteur rapporte bien la vie d’un migraineux mais il réalise aussi des rapprochements entre les céphalées du personnage et ceux de grands écrivains qui furent aussi de grands migraineux comme Guy de Maupassant, Nietzsche le «  migraineux notoire  », Balzac le «  migraineux honteux  » ou Barthes le «  fétichiste du cerveau  ».

«  La migraine, messagère de mon inconscient  »

Au fur et à mesure de la lecture, la silhouette du personnage d’Hector se dessine. Sa vie se déploie au fil du récit de ses crises. Chacune est l’occasion de raconter un pan de son existence. Ses premières migraines se déclarent enfant et l’obligent à se cloîtrer dans une chambre obscure. Il fait aussi le récit d’une crise qui survient lors de sa jeunesse alors qu’il se trouve sur un terrain de football. Cette crise a la caractéristique particulière d’être précédée d’une aura lumineuse qui produit un scintillement visuel et lui fait perdre toute sensation d’espace. Il raconte aussi celle qui se déclenche alors qu’il est sur le point de déclarer son amour à une fille. 

Anti-héros archétypal

L’histoire d’Hector Schmidt est l’histoire banale d’un homme employé au le Ministère de l’Équipement et des Transports, travail obtenu à la suite d’une classe préparatoire et d’une école de commerce. C’est l’histoire d’un homme qui désire Lola plus que tout et qui se marie à Géraldine. Hector est l’archétype de l’anti-héros dont la vie se résume à ses empêchements et ses inquiétudes. 

L’écriture de Raphaël Rupert fait sourdre le pathétisme, l’impuissance et le découragement qui se logent dans les vies humaines, non sans une pointe d’humour. Le personnage ne réalise rien d’héroïque. Il passe le plus clair de son temps à se battre, tant bien que mal, contre une maladie bégnine mais terrassante  :

La migraine intervient comme une punition infligée chaque fois que, dans ma vie réelle, je peux me rendre la tâche facile.

En fin de compte, Mes migraines fait le récit d’un homme sans qualité dont les douleurs à répétition sont le prétexte, bien choisi, pour décrire ce qu’il y a d’absurde, d’incompréhensible, de comique et de douloureux dans toute vie. 

Mes Migraines de Raphaël Rupert, Editions de L’Arbre vengeur, 17euros.

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