CINÉMA

« L’Échiquier du vent » : Gambit Dame refusé

L'Échiquier du vent (1976) - Mohammad Reza Aslani © The Film Foundation
L'Échiquier du vent (1976) - Mohammad Reza Aslani © The Film Foundation

Chaque œuvre censurée s’arroge d’emblée, par essence, un statut particulier. L’Échiquier du vent (1976) réalisé par Mohammad Reza Aslani n’échappe pas à cette règle. Présenté en 2020 au sein de la sélection Cannes Classics, le film iranien est assez étonnant et particulièrement envoûtant. À voir sur Ciné +.

En Iran, dans les années 1920, Petite Dame et Hadji livrent une guerre intestine sans merci pour l’héritage de Grande Dame. Hadji Amou -le second mari de cette dernière – est misogyne, violent, etc. Soutirant l’argent de Grande Dame depuis des années, il compte finir son œuvre et récupérer son dû. Petite Dame est un pur produit de l’aristocratie Qājār, lettrée, intelligente, mais complètement instable sur le plan psychique. Autour d’eux, gravite une servante intrigante, les deux neveux d’Hadji qui semblent œuvrer indépendamment de leur oncle.

Kimiavi et les autres

Le cinéma iranien a toujours eu un bon accueil en France. Un César et des récompenses cannoises pour Asghar Farhadi, la Palme d’Or pour Le Goût de la cerise (1997) d’Abbas Kiarostami. Certains ont même réalisé des films en français. Ce succès s’est rarement démenti et reste actuel : La loi de Téhéran, Le Diable n’existe pas, Un Héros, etc. Seulement, L’Échiquier du vent est particulier. Le spectateur peut sentir que ce film n’est pas un produit complètement destiné à l’export. Sans se départir de thèmes universels – la bourgeoisie contre l’aristocratie, la société patriarcale, la corruption – Aslani utilise des références propres à son pays.

Par exemple, Petite Dame n’est pas totalement le produit d’une projection moderne et quasi-révisionniste d’une féministe en 1920. En fait depuis la révolution constitutionnelle persane, dans les hautes strates de la société iranienne, les femmes étaient réellement cultivées, et par conséquence, échappaient à la coercition du savoir en en partageant l’exercice. La servante est le pendant de sa maîtresse. Issue du peuple, intelligente, douée de duplicité, mais facilement manipulable. Pour le réalisateur, elle est le reflet d’une autre partie de l’Iran de l’époque .

Mise à mort plastique

Le rythme de L’Échiquier du vent est aussi marquant. Lascif, sensuel et suggestif, le découpage se conjugue avec la proposition visuelle. L’influence de la photographie est résolument picturale. La persistance sur la rétine des impressions, des couleurs, confère une allure brumeuse et statique au long-métrage. Pour contrebalancer la stase, Aslani intègre de l’amplitude dans sa réalisation, toujours dans la lenteur ; les mouvements de caméra sont souvent sur pied.

Pour finir, L’Échiquier du vent est une fable assez terrible sur les élites de l’Iran. La petite bourgeoisie marchande et la grande aristocratie sont les deux faces d’une même pièce. Tout intellectuel, tout notable ou tout puissant qu’ils soient, ces personnages-là baignent dans la médiocrité de leurs sentiments. Le jeu de massacre grotesque est le symbole de la déliquescence d’une dynastie. La sorte de fléau d’armes ridicule brandi par Petite Dame renvoie à l’imposture originelle, son octroi illégitime sur une position dirigeante mal héritée. La conclusion nihiliste du film est un constat froid et limpide sur la putrescence de la race des seigneurs. La classe dirigeante est un animal atrophié par la peur, englué dans l’impotence et qui se terre en attendant de pourrir.

L’Échiquier du vent (1976) – Mohammad Reza Aslani © The Film Foundation

You may also like

More in CINÉMA