L’artiste américaine Judith Joy Ross propose une rétrospective de ses photographies prises entre 1978 et 2015 au BAL à Paris, jusqu’au 18 septembre. Elle réalise ainsi un portait de l’Amérique, en noir et blanc, au travers de portraits qui révèlent les visages de toute une population.
Des hommes en bustes, des tables désertées, des jeunes filles qui jouent, des travailleurs accoudés au comptoir, un porte-manteau vide, des hommes et des femmes de pouvoir. Nous entrons dans l’exposition de Judith Joy Ross, grande portraitiste.
Faire exception de chaque être
Née en 1946 en Pennsylvanie aux États-Unis, Judith Joy Ross a réalisé nombre de ses clichés dans cette région où elle réside encore aujourd’hui. Son œuvre prête attention au quotidien, aux vies et aux visages. Après la mort de son père en 1981, cause d’un grand chagrin, elle retourne dans un parc de loisirs où elle se rendait enfant. Elle y réalise la série Eurana Park, images d’enfants et d’adolescents. Ils mangent des glaces, s’asseyent sur un capot de voiture, escaladent des arbres. Plus tard, elle capte des images de son ancienne école primaire à Hazleton. Ou encore, réalise une suite de photographies de différents corps de métier : ouvriers, soldats, employés de cuisine.
Ces photographies racontent quelque chose qui fait écho à nos propres vies, pourtant ce sont bien des portraits d’inconnus. La frontière entre eux et nous se brouille. Finalement, de qui cette photographie est-elle l’histoire ? La nôtre.
Judith Joy Ross
Les métiers, les lieux et les âges sont prétexte à la rencontre des autres. Ainsi, chaque portrait sonde la singularité d’un être qu’elle révèle à l’image et qui se détache d’un fond souvent flouté et brumeux.
Photographier à la chambre technique
L’ensemble des images sont prises à la chambre photographique. Cet appareil ancien est peu maniable. L’artiste positionne la chambre sur un trépied puis place sa tête sous un voile occultant pour réaliser la prise de vue. Pour l’impression de ses photographies, Judith Joy Ross use d’une technique de révélation sur papier à noircissement direct. Ce papier photosensible révèle progressivement l’image exposée à la lumière naturelle. Ces choix techniques donnent une patine veloutée et sépia à la surface de ses images.
Témoignant de son besoin irrépressible de photographier, Judith Joy Ross se définit comme une « photo-junkie ». Si une image possible se découpe tout à coup du fond du monde, il faut, nécessairement, qu’elle s’arrête pour la réaliser. Elle conserve aussi le souvenir de sa première photographie, réalisée avec un appareil Yashica 6×6. Un jour, alors qu’elle déambule dans une rue de Philadelphie, elle aperçoit un déchet au sol dont la forme laisse passer une lumière rasante. Elle est saisie par la beauté de cet agencement.
L’artiste célèbre la rencontre par le biais de la prise de vue, ce qui lui permet de surmonter sa timidité. Photographier est, pour elle, une façon de décider des conditions de ces rencontres. Elle suit une sorte de protocole en demandant, à celui ou celle qu’elle souhaite immortaliser, son accord. Ce contrat tacite se ressent dans ses prises de vue qui ne donnent jamais l’impression d’être capturées par surprise, mais montrent au contraire des corps conscients d’être vus. Judith Joy Ross considère la photographie comme un acte qui se fait à deux. Un pacte se noue entre photographe et photographié qui prend la forme d’un encouragement réciproque. Elle explique d’ailleurs merveilleusement qu’elle cherche, non pas à capturer, mais à ce que ses modèles « viennent eux-mêmes à l’image ». Et cela se ressent.
Condamner la guerre
Une grande part de l’exposition est consacrée aux projets de l’artiste qui dénoncent la guerre, et plus précisément celles menées par la politique américaine. Elle hait la guerre, nos guerres contemporaines, celles qui ne seront jamais que pure violence et absence de mot.
Ses projets ne documentent pas les combats ou les ruines. Ils montrent le ravage de ces événements que l’on peut lire sur le visage de ceux qui ont connu la guerre. L’artiste cherche ainsi à saisir l’effet que la souffrance, la destruction et le traumatisme laissent sur les corps.
Judith Joy Ross réalise, en 1983, des images de visiteurs venus se recueillir devant le Mémorial des anciens combattants du Vietnam à Washington. Elle photographie aussi des manifestants qui protestent contre la guerre en Irak ou encore des soldats prêts à partir sur le front de la guerre du Golfe. Elle fait aussi, en 1986, le portrait des représentants du Congrès. Ce sont eux qui décident et permettent ces conflits auxquels elle s’oppose absolument. Sa pratique photographique est une protestation et un acte de paix. Elle cherche dans le regard de chaque être leur humanité.
La rétrospective consacrée à l’œuvre de Judith Joy Ross interroge, par l’image, la capacité des êtres à tenir debout malgré les épreuves de la vie, les violences et les traumatismes. Toute sa vie, elle regarde ces êtres, va à leur rencontre, retient un peu de ce qu’ils sont. Photographier est un don de son attention, et donc un acte humain.
Exposition « Judith Joy Ross – Photographies 1978-2015 », LE BAL, 6 Impasse de la Défense, 75018 Paris. Jusqu’au 18 septembre 2022. Contact au 01 44 70 75 50. Horaires : ouvert le mercredi de 12h à 20h, le jeudi de 12h à 18h, le vendredi, samedi et dimanche de 12h à 19h (fermé le lundi et le mardi).