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CANNES 2022 – «  Frère et sœur  »  : J’aime les nanars, savez-vous comment  ?

Frère et sœur © Why Not Productions
Frère et sœur © Why Not Productions

SELECTION OFFICIELLE – COMPETITION – Habitué des sélections festivalières, Arnaud Desplechin a souvent réjoui un public friand de son verbe aiguisé. Il présentait cette année Frère et sœur en compétition à Cannes. Mais cette fois-ci, l’auteur-réalisateur déçoit…

La recette du nanar est la chasse gardée de quelques réalisateurs la chérissant comme un trésor familial. Car si l’étiquette est signe d’échec commercial assuré, elle donne au film une aura qui fait parler les cinéphiles, êtres qui aiment de temps à autre revêtir le costume du donneur de leçon, gros de mauvaise foi et à la suffisance gentiment ridicule. Avec Frère et sœur, Arnaud Desplechin semble avoir percé à jour une recette paradoxalement convoitée.

Il faut dire que l’intrigue laissait déjà craindre le pire. On pouvait se douter qu’un cinéaste ayant fait de la complexité des relations interpersonnelles (ou plutôt des relations hommes/femmes et chrétiens/juifs) son fond de commerce pendant plus de trente ans, finirait par s’essouffler. Ses films de jeunesse à la subtilité d’écriture et à la finesse d’interprétation manifestes, semblent désormais bien loin.

Un film culte  !

Alice (Marion Cotillard) est une comédienne reconnue et adorée de ses fans. Son frère, Louis (Melvil Poupaud), est un ancien professeur et poète ayant renoncé à la gloire intellectuelle après la mort de son jeune fils. Alice hait Louis depuis leur vie de jeunes adultes. Pourquoi  ? Bonne question. En fait, personne ne semble le savoir. Et acteurs comme personnages semblent encore se poser la question de l’origine d’un ressentiment si étouffant. A force d’enfler, cette haine vient littéralement bouffer les personnages et finit par avaler tout cru un film sans substance.  

On a l’habitude maintenant, les personnages d’Arnaud Desplechin pourraient vivre d’amour et d’eau fraîche du moment que le feu du verbe et de la culture les anime. Au moins, le réalisateur a le mérite de parler de ce qu’il connait. Un peu trop peut-être. 

Mais ne nous en tenons pas là et laissons à Frère et sœur sa chance. Car loin d’être oubliable, le film a déjà tout d’un film culte. Impossible en effet de ne pas garder de la projection un souvenir amusé mais impérissable. Scènes et dialogues d’une cocasse médiocrité s’enchaînent dans un rythme pas franchement maitrisé par le réalisateur.

Pas la peine de d’attarder sur le montage parfois carrément hasardeux qui semble tenter, tant bien que mal, d’assembler des bouts de prises sans grande cohérence. Concentrons-nous plutôt sur l’alignement de topoï mal dégrossis.

Adieu à la subtilité

D’abord le quadragénaire, ancien poète naturellement détruit par la mort de son fils, s’étant réfugié au fin fond de la campagne dans une petite maison (mais bien comme il faut quand-même) accessible exclusivement à cheval. L’intellectuel a quitté son grand appartement bourgeois et ses chaussures cirées pour se reconnecter à la terre. De toute façon, à la ville on le censurait (triste sire, pour qui il ne fait pas bon vivre sous le ciel du «  on ne peut plus rien dire  »). Et on a envie de dire, bon débarras puisque Louis parvient tout de même à balancer au compagnon de son autre frère  : «  Tu es gay, ça devrait te rendre plus tolérant  ». Le silence à parfois du bon.

Notons au passage ce dialogue mémorable échangé dans l’interstice d’une accolade bien virile comme il faut entre Louis et son vieux pote venu le chercher pour lui annoncer que ses parents ont eu un accident :

«  – Tu sens…

– Oui je sens !

– Tu sens mauvais Louis.

– Non… (pause méditative) je sens la force (grand respiration). »

Mais bien sûr, Louis retrouve vite ses bonnes vieilles habitudes une fois de retour à Lille pour voir ses parents à l’hôpital. Et il se soule et se drogue (en fumant de l’opium : très XIXe siècle, très poète maudit) comme tout bon génie incompris qui se doit.

Mais ce malaise, on le comprend quand-même, est lié à la haine qui pourrit sa relation avec sa sœur Alice. Celle-ci a un ego gros comme un camion qui n’a vraisemblablement pas supporté le succès littéraire de son frère. S’engage alors un jeu du chat et de la souris jusque dans les couloirs de l’hôpital. La détestation est si profonde qu’a la simple vue de son frère, la jeune femme s’effondre provoquant l’inquiétude d’une infirmière.

Mais plus de peur que de mal, Alice est bien une actrice. Et elle le fait savoir, main devant les yeux, dans une réplique d’un lyrisme grossier : «  Je ne veux surtout pas voir mon frère  ». Étonnante Marion Cotillard, aux variations de jeu pourtant d’habitude si subtiles…

Gardons la fin secrète pour les spectateurs qui souhaiteraient découvrir de leurs propres yeux ce spectacle – ainsi que les nombreuses scènes non mentionnées ici qui valent le détour. Hors de question de gâcher cette apothéose de mauvais goût.   

Toujours est-il que l’on reconnait un grand réalisateur à sa capacité de maitriser d’une dextérité égale tous les genres cinématographiques. Et il en existe pléthore. Mais rares sont ceux qui peuvent se targuer de posséder un titre de séjour nanarlandais. Avec Frère et sœur, Arnaud Desplechin fait donc son entrée comme membre honorifique dans cette académie si prisée des cinéphiles. Haut les cœurs !

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