Fidèle à sa volonté de proposer une programmation éclectique, le festival de la Rochelle a, cette année encore, proposé de nombreuses avant-premières. Parmi celles-ci, une petite pépite produite par Bathysphere et réalisée par Gaël Lépingle. L’été nucléaire est un huis-clos à ciel ouvert, efficace et à la beauté fascinante.
Au milieu des vastes champs, l’alarme d’urgence de la centrale nucléaire retentit. Cinq amis, âgés d’une vingtaine d’années, ne parviennent pas à rejoindre à temps le point de ralliement pour l’évacuation de la zone irradiée. Victor (Shaïn Boumedine), Djamila (Carmen Kassovitz), Louis (Théo Augier), Cédric (Constantin Vidal) et Tiffany (Manon Valentin), se retrouvent confinés dans une maison abandonnée temporairement. Autour d’eux, la menace invisible du nuage radioactif. Entre eux, l’enjeu de la redéfinition des liens qui leur permettent de faire communauté.
Plein cadre sur une région oubliée
D’emblée le réalisateur pointe du doigt les enjeux de sa fiction. Victor effectue son footing dans les vastes étendues qui entourent la centrale nucléaire de Nogent-sur-Seine. Le montage alterne entre des plans rapprochés sur Victor et des plans d’ensemble saisissants. Les premiers permettent de dessiner les contours du personnage masculin. Sa carrure de sportif est celle d’un jeune homme capable d’endosser le rôle de leader, ce qu’il deviendra quelques minutes plus tard. En contre-point, la courte focale utilisée pour saisir l’immensité alentour, permet d’inscrire Victor dans son environnement. Tourné en pellicule, le film opère un retour à la matérialité première d’une campagne dans laquelle le seul relief est celui de la centrale.
Le grain de la pellicule permet aussi à Gaël Lépingle de manifester une présence humaine renouvelée. Contraints de prendre une décision immédiate, les jeunes gens se retrouvent pour la première fois depuis un long moment tous les cinq. On le comprend rapidement, leur groupe amical d’enfance s’est progressivement délité. L’habitude désenchantée des jeunes de cette région désertée a eu raison du lien intime qui les reliait.
Un survival économe
C’est donc la concrétisation inattendue de la menace nucléaire qui leur permet de faire de nouveau communauté. Pourtant, partie intégrante du quotidien des habitants de la région, cette menace échappe à toute prise visuelle. Le bruit – lié à la pellicule – présent à l’image permet de faire signe vers une appréhension possible du nuage radioactif. Toutefois, une fois à l’intérieur de la maison, les jeunes gens sont renvoyés à une passivité primaire. En ce sens, Gaël Lépingle réussit un tour de force. Il parvient à mettre en scène un film sur le mode du survival en faisant l’économie de toute menace physique.
Quelques ficelles narratives permettent au réalisateur de bâtir un thriller efficace dont l’action tient en moins de 24 heures. En effet, si Lépingle vient du documentaire, il fait le choix, ici, d’inscrire son intrigue dans l’immédiateté de l’urgence. Comme le soulignent les informations qui circulent sur les chaînes d’informations en continu que regarde Tiffany, le vertige est celui du vide qu’a fait autour d’elle l’invisible menace nucléaire.
Déterminé, et surtout borné, Victor disparait au tiers du film pour tenter de rejoindre sa compagne, alors enceinte. L’occasion pour Lépingle de mettre en images une campagne inquiétée. La différence qui se glisse dans les plans n’est pas tant relative à la densité visuelle de l’image. Les premiers plans avaient déjà bien montré que la région du grand Est souffre d’un vide humain et de bâti évident. C’est le silence qui pèse sur le vide qui aggrave l’inquiétude. Tout en économie, le réalisateur convoque discrètement l’imaginaire du western pour mieux faire surgir les corps des aspirants survivants.
Solitudes partagées
En effet, si Victor est de retour après son escapade insensée hors les murs de la maison-refuge, il ne peut reprendre sa place de leader. À chacun incombe dès lors la tâche d’accueillir la peur latente d’autrui. Après que Louis a réussi à retrouver Victor, le film devient un huis-clos au sens fort. C’est à ce moment que l’intrusion du monde extérieur vient bousculer le fragile équilibre du groupe. Travaillant ingénieusement avec l’ellipse, le réalisateur flirte avec le fantastique.
La force du film ne réside donc pas seulement dans la grande maîtrise esthétique dont fait montre Lépingle. Aux couleurs vives qui imprègnent la pellicule, répondent celles, plus froides, des sentiments qui se rencontrent et se heurtent.
Si le film n’est pas ouvertement politique, il manifeste subtilement une prise de conscience évidente la part des jeunes confinés. Leurs actes sont d’abord guidés par un instinct de survie. Mais leur acuité politique s’éveille au fur et à mesure. Les convictions du solide Victor (« On est en France, la télé et les politiques ne nous mentent pas »), sont progressivement ébranlées sous l’impulsion de ses camarades. Résolument seuls au cœur d’un groupe – Djamila écrit une lettre d’adieu et avoue, impuissante, ne pas même savoir à qui l’adresser – la jeunesse confinée voit certaines de ses illusions flétrir sous l’orage irradié. Comme un écho involontaire à une jeunesse aujourd’hui loin d’être fictive.