Censuré, sorti vingt-huit ans après son tournage, 1974, une partie de campagne relate la bataille électorale présidentielle vécue depuis le camps de Valéry Giscard D’Estaing. Raymond Depardon le tourne avec un dispositif minimal en réduisant au maximum le budget. À revoir sur Ciné +.
Surgissant ex nihilo dans une forêt, figure droite et longiligne, Valéry Giscard D’Estaing n’est plus seulement ministre de l’Économie et des Finances, il est candidat à la présidence française. Voilà comment commence 1974, une partie de campagne de Raymond Depardon. S’ensuit quatre-vingt-dix minutes de poignée de mains, de discours, de réunions. Financé par VGE, le documentaire ne montre jamais le vingtième président français sous un mauvais jour. Malgré cela, il est censuré, assez mystérieusement rétrospectivement. Peut-être que le documentariste a percé, par instant, le personnage dans son apparente distance.
La dialectique peut-elle casser des briques ?
Ce qui frappe le spectateur, c’est l’insignifiance des paroles échangées. Giscard parle à Michel Poniatowski, à sa fille Valérie-Anne, mais les propos sensés n’ont pas d’importance dans le film. Dans la lignée du cinéma-vérité, et de la communication de Kennedy, Depardon a compris que l’image primait. En fait, il était totalement visionnaire sur le sujet. Lors d’une déclaration de Jean Lecanuet, il tourne autour de la masse de journaliste pour réaliser un plan-séquence circulaire. Un peu comme Tarantino dans Inglourious Basterds (2010), ou Fassbinder dans Martha (1973). C’est assez drôle de remarquer les journalistes prenant le son, complétement interloqués, fustigeant du regard le curieux.
Pour aller plus loin, 1974, une partie de campagne aurait pu se passer de bande sonore (qui est de très bonne qualité). On peut rapprocher l’exercice du portrait. Quand le peintre a du génie, il ne se contente pas de reproduire béatement les traits de son sujet. Il va plus loin. Il se sert des défauts et des qualités du modèle pour exprimer son art. Alors, s’opère un combat, une dialectique entre l’agissant et le subissant ; le combat pour la suprématie est à mort. Raymond Depardon a montré que le point fort de VGE résidait dans son magnétisme, sa prose du corps sans parole.
Laparotomie ou la parodie
Remarquablement, 1974, une partie de campagne se garde bien de disséquer le mystère Giscard. Depuis son fauteuil de ministre, le candidat semble inaccessible malgré la proximité avec la caméra. D’énarque à monarque, il en garde la stature et la posture. À cela, s’ajoute le documentaire. Il y a quelque chose qui gratte à l’image. L’ensemble est extrêmement proche de la parodie. 1974, une partie de campagne préfigure l’émission belge Strip-tease. Il y a certainement quelque chose relevant de la mise à nu dans ce journal de campagne. Valéry Giscard D’Estaing a du sentir que le procédé contenait une part d’obscénité, qui fait le sel du long-métrage, difficile à concilier avec sa position de chef d’État.
Cette part de grotesque est retranscrite parfaitement dans le faux documentaire C’est arrivé près de chez vous (1992). Sans verser dans l’hyper-trash de Rémy Belvaux, Depardon a laissé au découpage des scènes avec beaucoup de malaise. Par exemple, à l’annonce des résultats du premier tour, VGE se moque ouvertement non sans méchanceté du score de Guy Héraud et de ses 0.1 % de suffrages. La phrase « Ce n’est pas beaucoup » associé à un petit sourire narquois s’effaçant immédiatement à la prise de conscience de la caméra, a pu gêner le président français, soucieux de son image. Encore, son courroux à l’endroit de Michel D’Ornano pour son intervention qu’il juge médiocre est un petit écornement à son image, à la JFK, de gendre idéal.
Enfin, 1974, une partie de campagne jouit comme tout film censuré d’un statut culte. Par-delà cela, il est aussi un reflet d’une époque révolue. Des bains de foule avec une sécurité minimale, un ministre sortant du Conseil des ministres pour prendre le volant de sa DS de fonction, et plus intéressant, la nécessité du regard de l’autre, Raymond Depardon en l’occurrence, pour la communication. À l’heure où l’image est une affaire d’individus, d’auto-promotion, il est primordial de reconnaître ce qu’on a perdu dans la disparition de la dualité du regard, et ce que l’on a gagné.