Tous les mois la rédaction de Maze se penche sur un film culte. La dernière fois, nous avons retrouvé Les Deux Anglaises et le Continent de François Truffaut. Un bond dix ans après pour se pencher sur l’oeuvre mythique du Paris nord des 80’s Neige (1981), avec à la caméra le duo Juliet Berto et Jean-Henri Roger.
Néons roses et rouges, corps qui se déhanchent, entrées sombres et cachées des bars dansants, sous l’enseigne lumineuse de l’emblématique Tati, la population du boulevard Barbès évolue, plus docile la journée, mais indomptable la nuit tombée. Avant d’être un film sur ses habitants, Neige est aussi le portrait de cette emblématique avenue et du bouillonnement culturel, populaire, et festif qui l’animait. Sous la bande-son entraînante de Bernard Lavilliers, les travestis croisent les projectionnistes de cinémas de quartier, les flics coursent les dealers, et le coeur du quartier, battant aux tempos de la musique, se déchiffre en quatre lettres : TATI. Il ne s’arrête pas et laisse les personnages s’échouer à ses portes , conscient de l’emprise de la ville, sur ceux qui l’habitent.
Parmi eux, Anita (Juliet Berto), barmaid qui connait les rues comme sa poche. Elle les arpente avec son compagnon le pasteur Jocko (Robert Liensol) et Willy (Jean-François Stévenin) boxeur amoureux d’elle. Mais surtout, elle s’y engouffre pour suivre à la trace Bobby, jeune dealer qu’elle s’est promise de protéger et dont les activités l’inquiètent. Lorsque Bobby tombe, Anita doit faire face à son échec mais aussi au nouveau problème qui surgit : les consommateurs sont en quête de poudre et ne parviennent pas à gérer le manque. Anita décide de les aider, secondée de ses deux amis, notamment lorsqu’une addict transgenre la sollicite.
Modernisme et contemporanité
Avec ses airs de thriller et de film noir, Neige plonge dans des courses poursuites sans fin, jusqu’à parvenir à plusieurs dénouements, traduits par des meurtres. Mais on pourrait aussi l’assimiler au genre du documentaire, dans la volonté des auteur.ices de dévoiler l’atmosphère du Pigalle des années 80. Festive certes, mais aussi rongée par la drogue, par les règlements de compte et par une police violente et peu concernée. Le regard envers ses protégés.es, qu’ils soient clean ou non, est extrêmement bienveillant. Juliet Berto et Jean-Henri Roger, eux-mêmes habitants du quartier, y explorent les moindres recoins et sont dans un exercice plus démonstratif et politique qu’esthétique. La diversité culturelle est un facteur qui caractérise l’oeuvre, et qui offre un point de bascule aux films de la Nouvelle Vague très normés qu’on voyait jusqu’alors.
Pour saisir les subtilités de la population représentée, le choix des acteur.ices fonctionne : Juliet Berto est énigmatique, douce, toujours habitée par cette lueur d’inquiétude. Willy campé par Jean-François Stévenin, grand timide qui se défoule sur le ring et qui ne comprend pas pourquoi les deux autres veulent venir en aide aux plus démunis. Pourtant c’est par amour et avec beaucoup de courage qu’il s’embarque avec eux, au risque de sa vie. Les démunis, ceux qui peuplent le boulevard, sont la force même de l’oeuvre qui leur offre un sublime hommage. Décalés, sensibles, pris au désespoir, captifs de cette neige qui les maintient à la surface, ces figures que l’on croise bien trop souvent sur le pas des sex shops sont mis à l’honneur. Mis à l’honneur dans un élan passionnel, pour ce Pigalle mystérieux et vibrant d’amour.