Présenté à l’Arras Film Festival, Apples est un bijou de cinéma, un joyau du 7ᵉ art, une perle de premier film réalisé par Christos Nikou. L’amnésie sous fond de pandémie, donne naissance à une étrange fable fantaisiste.
Une pandémie provoque une soudaine perte de mémoire aléatoire au sein de la population. Aris (Aris Servetalis) souffre d’amnésie. Interné à l’hôpital, il ne sait plus rien de lui, de sa vie, de ses amis, mais sait parler, penser et converser. Sa mémoire courte comme longue sont obsolètes. Lors des séances de rééducation, aucune amélioration ne se produit. On lui propose alors une méthode innovante : se créer de nouveaux souvenirs pour réapprendre la vie. Débute alors un programme d’immersion complète au doux goût de pommes.
Aris emménage seul dans l’appartement que son médecin lui assigne. La contrepartie ? Sa participation active à la méthode créative. Chaque jour, chaque instant, consiste tel un jeu au remplissage de missions. Sur des cassettes, ses médecins lui prescrivent quotidiennement le programme de la journée. Équipé d’un polaroïd, le patient doit se créer des souvenirs, à répertorier dans un album. Livré à lui-même, Aris n’a le choix que de se conformer à cette méthode. Sans sa mémoire, il ne lui reste plus rien d’autre.
Dystopie utopique
Cette dystopie sociale pour les uns, tend davantage vers l’utopie pour d’autres. Notre ère temporelle sans cesse désireuse de divertir de façon innovante, peut en effet se laisser séduire par cette programmation. Se voir assigner un lieu de vie pleinement fourni, avec pour seule réquisition la participation à ce que l’on pourrait qualifier d’un « jeu culturel », ne semble finalement pas si désagréable. Et pourtant, l’oppression voire soumission à l’autorité, transparait ici clairement à travers la photographie. Cette recherche constante du passé, induit un questionnement identitaire indéniablement pesant. La dominance des tons bleus, couplée à de nombreux contre-jours méticuleux et à un comédien hors pair, font de cette narration un joyau contemporain.
Intemporel par ses choix discursifs et sa mise en scène dénouée de toute frivolité, ce premier long-métrage est à la fois très ancré dans la réalité (pandémique entre autres), et profondément énigmatique. Aris Servetalis incarne merveilleusement cet homme, qui se nourrit de pommes.
Après avoir assisté Yorgos Lanthimos sur Canine, on ressent l’influence indéniable que cette expérience a dû avoir sur Christos Nikou dans ce premier film Apples. On se demande d’ailleurs si le titre et la place donnée au fruit, n’établissent pas un parallèle avec la célèbre marque éponyme si ancrée dans les consciences collectives. Une dénonciation subtile. La situation initiale dramatique des amnésies en série, prend une tournure absurde jusqu’à devenir quelque peu ironique dans sa charmante poésie. On apprécie l’esthétisme habitable des années 1970’s, agrémenté d’un rythme radiophonique par cassettes. S’immiscer ainsi dans l’intimité d’un homme qui découvre la vie tel un nouveau-né, relève du voyeurisme. Mais le sujet est abordé avec tant de poésie, que l’entière observation devient limpide. Découvrir avec cet homme la vie sans identité propre, tout en se sentant tiré dans son monde à lui, est jouissif.
Créer des souvenirs n’est pas anodin, savoir que l’on a perdu les siens, peut-être pour toujours, l’est encore moins. L’élégance de l’oubli, sublimée par une vision pleine de grâce. Un coup de maître.