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(Re)Voir – « Old Joy » : Le temps des copains

Old Joy (2006) - Kelly Reichardt © Splendor Films
Old Joy (2006) - Kelly Reichardt © Splendor Films

Kelly Reichardt est la cinéaste du moment. Son cinéma est particulièrement calme et pastoral. Old Joy (2006) ne fait évidemment pas exception. La sortie très attendue de First Cow fin 2021 a occulté la reprise du deuxième film par Splendor Films au même moment. Old Joy est disponible sur Ciné +.

Kurt (Will Oldham) propose à un vieil ami Mark (Daniel London) de partir camper une soirée et se baigner dans une source le lendemain matin. Il est difficile de faire un résumé plus étendu de l’histoire d’Old Joy. Il n’y a presque aucune péripétie. La simplicité est aussi une limite, Kelly Reichardt en est bien consciente. Le film ne dure que soixante-seize minutes.

Amitié naturaliste

Il est possible de considérer Old Joy comme une revisitation du genre Buddy movie. Cependant, Reichardt escamote tous les attendus. Schématiquement dans ce type de film se déroule comme suit un groupe d’amis jadis homogène et devenu dysfonctionnel après s’être perdu de vue. Après la résurgences de vieux conflits, la bande se soude pour affronter les difficultés ensemble. Ce canevas scénaristique est quasiment universel pour le genre (Very Bad Trip (2009)), Le Dernier Pub avant la fin du monde (2013)).

Je suis intéressée par les personnages. Je crée des personnages, avec leurs problèmes.

Kelly Reichardt pour Maze, 24 mars 2017

La résolution des problèmes au sein du groupe passe systématiquement par la parole. Le cri plus exactement. Les rapports s’hystérisent et se cristallisent autour d’évènements datant de plusieurs années. De plus, les différences sont souvent caricaturales. Par exemple, dans Le Dernier Pub avant la fin du monde, chaque personnage peut être résumé à un archétype. Gary King (Simon Pegg) le raté passéiste, Andy (Nick Frost) le souffre-douleur, Steven (Paddy Considine) le rival, etc. Au contraire, Mark est plus taiseux, Kurt plus original, mais cela s’arrête là. En aucun cas, les personnages de Kelly Reichardt ne sont réductibles à la première impression que l’on a d’eux. La grande beauté du film réside dans l’évolution des personnages non insérée dans la continuité dialoguée. Mais perçue par le spectateur via la mise en scène.

Le quotidien inattendu

Dans son podcast la gêne occasionnée, François Bégaudeau évoque la praxis de l’amitié, la manière dont Reichardt peint ce rapport intersubjectif comme théorie de l’action. C’est très vrai pour First Cow, mais aussi pour Old Joy. Contrairement aux buddy movies, jamais Kurt ou Mark ne se fâchent. Pourtant, le premier a égaré le binôme par ses mauvaises indications sur la route. En fait, les amis se rapprochent parce qu’ils sont ensemble. Il s’agit de poser l’amitié comme fait autoréalisateur et non comme lien social nécessairement énoncé. Dans un sens, cette conception sied à merveille à la réalisation de la cinéaste états-unienne. Cette mise-en-scène permet d’utiliser la concision comme éthique artistique.

En outre, les animaux sont assez importants au sein de cette éthique. En effet, Lucy, la chienne de Kelly Reichardt est présente dans Old Joy et Wendy et Lucy (2008). La vache est évidemment importante dans First Cow. Les chevaux sont particulièrement bien filmés dans la Dernière Piste (2010). Surtout, les rapports des animaux avec les humains est filmé comme entre humains. Avec douceur et précaution. Quand Cookie (John Magaro) trait la vache dans First Cow, il lui parle, la rassure. Lorsque Lucy disparaît dans Wendy et Lucy, Wendy vit son absence comme un déséquilibre. Kelly Reichardt filme leur relation comme celle de Mark et Kurt. Pas de grands dialogues, mais une complicité évidente. La rupture de Wendy (Michelle Williams) et Lucy à la fin est narrativement forte par le traitement scénographique de la relation qui les lie.

Pour finir, Old Joy est le manifeste embryonnaire de l’art de sa créatrice. Tout y est. Et malgré un développement atrophique, le film incarne la force de l’éthique de réalisation de Kelly Reichardt : la vitalité immanente, la beauté de la praxis.

Old Joy (2006) – Kelly Reichardt © Splendor Films

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