Deux fois par mois, la rédaction se dédie entièrement au « petit écran » et revient sur une série pour la partager avec vous. Toutes époques et toutes nationalités confondues, ce format pourra vous permettre de retrouver vos séries fétiches… ou de découvrir des pépites. Cette semaine, c’est au tour de la série Netflix Colin in Black & White.
À l’automne dernier, Ava DuVernay adaptait pour Netflix la vie de Colin Kaepernick, le joueur de football devenu un symbole de la lutte contre le racisme. Brisant les codes de la narration, elle propose une minisérie, Colin in Black & White, à la hauteur du destin extraordinaire de cet athlète militant.
Colin Kaepernick, un genou à terre
Colin in Black & White raconte le monde d’avant. Un monde où le hashtag #blacklivesmatter n’a pas encore traversé les océans, où il est encore rare que des athlètes s’expriment sur des sujets de société. Un monde bien plus timide à l’idée de paraître militant. Dans ce monde d’avant, le destin d’un homme porte en lui toute la violence qui attend ceux qui prennent la parole. Et ils ne sont pas nombreux. Mais il y a eu un homme, pour se tenir à genoux devant les caméras et dénoncer les crimes policiers aux États-Unis. Un homme, un seul, pour utiliser sa voix et mettre fin au silence. Lorsque Colin Kaepernick se met à genoux pour la première fois, il est seul, face à l’hymne américain et aux huées de la foule. Il risque sa carrière, il le sait. Son geste, qui pourrait paraître anecdotique, déclenchera une véritable révolution.
Abandonné par les siens, désavoué par la NFL, il faudra de longues années avec que le combat porté par l’athlète américain parvienne à toucher les masses. Avec Colin in Black & White, la grande réalisatrice Ava DuVernay rend hommage à l’homme, et au symbole.
La voix d’Ava DuVernay
Ava DuVernay est, incontestablement, l’une des réalisatrices les plus talentueuses de sa génération. Après Selma et 13th, son documentaire choc sur la surpopulation des prisons américaines, les portes d’Hollywood se sont ouvertes en grand pour cette artiste de talent. Artiste, oui, mais aussi, et peut-être surtout, militante. Car son art, Ava DuVernay le met depuis toujours au service d’une cause : dénoncer le racisme systémique qui gangrène les États-Unis. Avec sa société de production, ARRAY, elle a montré que le militantisme pouvait prendre bien des visages. Elle a créé un OVNI, un type de cinéma nouveau qui déborde dans la société pour étendre son impact.
Une enfance placée sous le signe de la violence
Dans Colin in Black & White, elle fait le choix de raconter l’enfance de celui qui deviendra un symbole de la lutte anti-racisme bien au-delà des rangs de la NFL. Le scandale et la violente réaction engendrés par son genou mis à terre, Ava Duvernay les raconte sans s’y attarder (pour l’instant). Ce qui l’intéresse ici, ce sont les dessous de ce destin extraordinaire. Les années de lutte et de douleur, pour ce gosse adopté, élevé dans une banlieue bourgeoise du Wisconsin. La bataille permanente avec deux parents blancs, qui ne comprennent pas sa véritable identité. La réalisatrice met en avant le quotidien d’un jeune homme dont la différence est constamment brimée ou pire, ignorée. Elle révèle aussi la psychologie d’un sportif qui s’est toujours vu refuser ses rêves. Son destin, Kaepernick le construit pierre par pierre, en dépit des obstacles, pourtant si nombreux.
Les épisodes se succèdent, mettant en lumière des centaines d’agressions, résultat forcé de l’ignorance et de la haine. Même ses propres parents enchainent les remarques racistes qui déchirent le cœur tant ils passent à côte de la violence de leurs paroles. Colin in Black & White, c’est une plongée dans le quotidien d’un enfant noir aux États-Unis, et ailleurs. C’est aussi l’analyse en profondeur de systèmes intrinsèquement fondés sur la discrimination. En ramenant Colin dans son quotidien, la réalisatrice révèle l’étendue de la violence à laquelle il a dû faire face toute sa vie. Une violence qui ne l’empêchera pas, des années plus tard, de faire exploser son courage et se tenant seul face à un pays tout entier.
Des modèles de narration réinventés
A l’image du briseur de codes qu’elle raconte, Ava DuVernay imagine une série où toutes les normes de la narration sont remises en cause. Le récit s’organise en deux temps : Colin Kaepernick d’abord, qui arpente cette immense salle grise, comme s’il était dans sa propre tête. L’athlète lui-même ouvre le récit, proposant une analyse en profondeur du racisme dans la société américaine. Du sport à la musique, en passant par la linguistique, Colin Kaepernick met en perspective les images de fiction avec celles, bien réelles, de sa vie et de son combat.
Cette structure narrative perd un petit peu en vitesse au milieu de la série. Mais le jeune Jaden Michael, qui interprète le Colin fictif, ado, parvient à porter seul l’intérêt du spectateur pour l’histoire du sportif. Une jeune étoile est née, c’est incontestable tant son jeu est déjà nuancé et empreint d’une présence rare. Il explose à l’écran, d’une énergie et d’une sincérité débordantes. À seulement dix-huit ans, il impressionne et réussit le pari de transcender son personnage pour incarner son combat.
Dans ce petit bijou d’esthétisme, la grande Ava DuVernay célèbre les icônes de la culture afro-américaine, le courage d’un homme et l’espoir d’une société qui change. Colin in Black & White met en perspective les centaines de manifestations et l’énorme soutien porté au mouvement Black Lives Matter ces deux dernières années, en rappelant que nous ne sommes qu’au début d’une époque où la parole se libère. Le chemin est loin d’être terminé. Mais l’exemple de Colin Kaepernick, porté à l’écran par le talent d’Ava DuVernay, assure la transmission, vitale, d’un combat qui ne fait que commencer.