La Madeleine de ProustLITTÉRATURE

Madeleine de Proust #32 – Le trésor de la guerre d’Espagne

Madeleine de Proust
© Fanny Monnier

Chaque mois, un·e membre de la rédaction se confie et vous dévoile sa Madeleine de Proust, en faisant part d’un livre qui l’a marqué pour longtemps, et en expliquant pourquoi cet ouvrage lui tient à cœur. Ce mois-ci, Le Trésor de la guerre d’Espagne suivi de La boîte aux lettres du cimetière (2011-2014) de Serge Pey.

Serge Pey, poète toulousain et président d’une salle de spectacle au cœur de la ville rose, était aussi professeur de littérature à l’université  ; et c’est ainsi que j’ai eu le bonheur de découvrir ses nombreux recueils de poèmes. Les deux recueils de nouvelles dont je vais vous parler tiennent une place particulière dans sa production littéraire, essentiellement poétique. Ces deux livres constituent à mon sens une porte d’entrée vers le reste de l’œuvre, et vers la poésie en général. Et peut-être pas que la poésie  ! Car les récits qui nous y sont livrés touchent à l’Histoire, au politique, au philosophique …

Je vous invite à entrer dans ces deux compilations d’histoires surprenantes, captivantes, drôles et subversives, tantôt anecdotes rocambolesques, tantôt témoignages terribles, et de vous laisser porter par le souffle du poète qui chemine vers l’inconnu.

Une écriture tellurique ?

« La poésie est une histoire de fantômes » nous dit Serge Pey qui raconte dans ses nouvelles, souvent depuis le point de vue d’un enfant, l’histoire des anarchistes espagnols exilés en France pendant la seconde moitié du XXe siècle : leur école de fortune, leurs luttes, leurs souvenirs. Mais le cadre du récit est surtout un prétexte pour donner à voir le réel à travers les yeux du poète, ou devrais-je dire de l’enfant qui est en nous.

Quand nous allions au cinéma, on sortait de la maison avec une chaise sur la tête. On emportait, bien sûr, les chaises les plus pourries, les plus éventrées, la paille qui sortait du siège nous coiffait de perruques jaunes et hirsutes.

Serge Pey, “Le Cinéma” dans Le Trésor de la guerre d’Espagne.

Journalistes et éditeurs s’entendaient au moment de la publication pour qualifier le style de l’auteur de tellurique. Sans trop savoir ce qui se cachait derrière ce terme, je sentais que cela touchait précisément à ce qui me plaisait dans ces livres. Mais je pense qu’il s’agit d’autre chose. Les personnages et narrateurs s’expriment souvent dans un registre familier  ; les situations prennent des tournures grotesques  ; la poétique y a quelque chose d’organique… Tout cela contribue à créer un sentiment de proximité avec la matière, la chair, dans la mise en scène d’une réalité crue(lle).

Des récits poétiques

On hésite à parler de prose poétique en lisant ces nouvelles, tant le style est fécond. Les nombreux jeux de langage nous amenant parfois jusqu’à des réflexions linguistiques ; l’imaginaire cosmogonique et les réécritures de mythes ; le renversement de la réalité opéré par les différents point de vue des personnages ; les descriptions qui frôlent le registre fantastique. Même si l’on retrouve certains personnages tout au long des recueils, aucun récit ne se ressemble : la magie y opère toujours d’une nouvelle manière !

Il y avait aussi parmi nous un homme qui portait un nom de bête comme ma tante Hirondelle. On l’appelait Chien. Cela faisait beaucoup d’animaux dans notre commune. Mais cela s’arrêtait là.

Serge Pey, “On l’appelait Chien” dans La boîte aux lettres du cimetière.

Je crois que ce qui m’a convaincu de la puissance de ces textes, et de leur accessibilité au plus grand nombre, c’est le fait que ma grand-mère, qui ne veut entendre parler que d’un seul genre littéraire (le polar bien sûr), ait tout de même apprécié de lire ces deux recueils. C’est un sacré tour de force. Il y a plusieurs niveaux de lecture qui s’entrecroisent dans un agréable équilibre, si bien que je ne connais pas deux personnes qui en aient retenu la même chose  : les histoires continuent leur vie dans l’esprit des lecteurs, en se transformant, à la manière des anecdotes de grand-mères qui changent un peu à chaque redite.

Pour ma part, je vous assure que tout ce qui est raconté dans ces nouvelles est vrai… !

Le trésor de la guerre d’Espagne de Serge Pey, éditions Zulma, 10,95 euros.

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