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« La mer verticale » – À toutes nos peurs

La mer verticale
© éditions Dargaud

Dans un album au trait sensible et épuré, Brian Freschi et Ilaria Urbinati racontent le quotidien d’une jeune femme sujette aux troubles paniques récurrents. Et signent, discrètement, une œuvre bouleversante sur la tolérance.

India a tout pour être heureuse. La jeune femme porte son carré noir avec élégance, ses yeux bleus vous transpercent. Elle vit avec Pier, à Ischia, une petite ville insulaire du Sud de l’Italie dans laquelle les gens sont « ignorants », d’après lui, mais où l’on a tout ce qu’il faut pour vivre bien. Ses proches l’aiment et prennent soin d’elle. Son job aussi lui plaît. Elle est institutrice et passionnée, n’oublie le visage d’aucun des gosses qui peuplent son quotidien, veut bien faire et a à cœur de leur apprendre beaucoup.

Pourtant, si le portrait de cette petite vie semble idyllique et tranquille, certaines ombres viennent, petit à petit, obscurcir le tableau. Dès les premières planches, India se confie tant bien que mal sur ce mal mystérieux qui la ronge. Parfois, à certains moments qu’elle ne maîtrise pas, la mer qui s’agite en elle semble devenir verticale. C’est l’image qu’elle a en tête. Dans la réalité, elle fait des crises de panique, s’évanouit ou reste tétanisée.

Une initiation

Le dessin délicat d’Ilaria Urbinati porte avec grâce la quête initiatique de ce personnage qui appréhende difficilement ses propres faiblesses. En l’occurence, la maladie mentale, mal méconnu et encore tabou. Les tons clairs de l’album accompagnent la traversée évanescente de cette jeune femme qui se cherche.

Les premiers troubles paniques grisent la page, c’est le trou noir et India, comme l’oiseau en cage de son appartement, se retrouve prise au piège de ses visions. Son personnage, traité comme une chose fragile jusqu’à l’excès, interroge aussi le poids de nos représentations genrées.

© éditions Dargaud

Mais La Mer verticale parvient à dépasser son sujet initial et raconter, en creux, l’intolérance de nos sociétés face à la différence. Partout, notre héroïne, fragile, est traitée soit comme une enfant qui devrait cacher un mal forcément tabou, soit comme une folle à qui les parents d’élèves refusent peu à peu de confier leurs enfants.

Cet éventail d’intolérance face à la maladie mentale, qu’il faudrait fuir plutôt que comprendre est loin d’être caricatural. Il jette une lumière crue sur nos méchancetés les plus archaïques face à la différence. Et nous parle, discrètement, de l’époque que nous vivons, celle où, en France, en 2022, la consultation chez le psychologue vient seulement d’être validée comme un soin remboursable.

La mer verticale de Brian Freschi (scénario) et Ilaria Urbinati (dessin), éditions Dargaud, 19,99 euros.

Journaliste

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