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Prix BD des étudiants France Culture-Inrockuptibles #1 – « La Conférence »

Mahi Grand © Dargaud

À l’occasion du Prix BD des étudiants France Culture-Inrockuptibles, la rédaction littéraire décortique chaque semaine un album en lice. Pour démarrer ces lectures, c’est La Conférence de Mahi Grand qui ouvre le bal.

Un homme prend la parole pour raconter sa transformation depuis sont état antérieur de singe. Il raconte un épisode marquant de sa vie  : sa capture suivie de sa captivité dans une cage au fond d’une cale. C’est la souffrance occasionnée par cet enferment, et la proximité avec les matelots, qui le mène à prendre la décision fatidique. Pour être libre, il doit devenir un homme. L’animal devient humain par mimétisme, notamment en se mettant à boire de l’alcool. On reconnaît-là le cynisme de Kafka.

Mahi Grand nous offre une adaptation en BD d’un court texte de Franz Kafka, écrit sous la forme d’un discours tenu devant une assemblée. Comme on peut s’en douter, l’auteur tient à rendre le texte plus séduisant, digeste et accessible que sa version originale. C’est aussi pour cette raison que Mahi Grand opère un important travail de coupe pour ne garder que l’essentiel : ce qui permet de dresser le portrait de l’homme-singe dont il est question. L’homme revêt un costume de singe. Où est l’animal  ? À l’intérieur ou à l’extérieur  ? Le personnage principal apparaît alors comme le miroir inversé d’une humanité qui enfouit sa bestialité sous des coutumes, des apparences, des croyances.

Des illustrations éloquentes

Dans La Conférence, la fonction du dessin se veut purement illustrative. Au fur et à mesure que le personnage déploie le récit de sa vie, le lecteur se mue en spectateur et le texte devient secondaire. Seules les images demeurent parlantes. Ce sont souvent des pleines pages avec deux lignes de texte, des cases arrondies, comme flottantes, rappellant les codes du flash-back. Les phrases du narrateur deviennent une voix off, qui guide à travers une succession de courtes scènes évocatrices.

éditions Dargaud

Des images de l’homme-singe en train de prononcer son discours sont d’ailleurs introduites, comme un collage, dans de nombreuses images – ce qui crée une porosité entre le temps du récit et celui de l’élocution, et permet des jeux de dialogue entre le singe du passé et l’homme du présent.

Une esthétique du contraste

La disposition des cases sur la planche est éloquente. On y voit le personnage, comprimé dans de petites cases centrales. Lorsqu’il est question d’enfermement, les cases se font plus petites et nombreuses quand l’action se resserre. Deviennent plus grandes pour introduire un nouveau personnage ou une situation importante.

Le travail graphique est porté par une esthétique du contraste, tout en douceur. Contraste entre un duo de couleur (rose et bleu, rouge et vert), entre un décor flou et des personnages nets, entre l’austérité de la salle de conférence et la magie des images. L’ensemble est apaisé par les rondeurs du trait, la sobriété d’un dessin jamais surchargé, l’intimité du cadrage. C’est un régal pour les yeux, le récit s’avale aussi facilement que l’on se remémore un bon souvenir.

La Conférence, Mahi Grand, éditions Dargaud, 19,99 euros.

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