CINÉMA

«  De Nos Frères blessés  » – Récit d’Algérie

De Nos frères blessés
© Les Films du Bélier

Fernand Iveton est un jeune ouvrier militant communiste français. Parti vivre à Alger, il lutte pour l’indépendance de l’Algérie. Une position politique qui le mènera sur l’échafaud le 11 février 1957.

De Nos frères blessés est une adaptation du roman éponyme de Jospeh Andras (2016). Le film retrace l’engagement du jeune révolté incarné par Vincent Lacoste. Fernand Iveton a bel et bien existé et son destin tragique a épousé celui de tout un pan de l’histoire coloniale française. Celui d’un oublie orchestré par un Etat français complaisamment amnésique.

Le projet d’Hélier Cisterne est donc simple  : mettre en images cette guerre «  invisible  ». Quel meilleur medium en effet que le cinéma pour rendre la vue à ceux et celles dont le regard a été offusqué par un récit national bien silencieux sur le sujet  ?

De la tragédie

Ce bien noble projet achoppe cependant sur une caractéristique récurrente de la production cinématographique prenant pour sujet la guerre d’Algérie. En construisant une structure narrative binaire, le réalisateur emprunte la voie du drame intime. Aux activités militantes d’Iveton à Alger, répondent en effet les séquences mettant en scène les débuts de la romance qui unit le communiste à la jeune Hélène (Vicky Krieps). Dans ce va-et-vient narratif constant, le présent de l’empêchement ne trouve qu’un secours mesuré dans la tendre mémoire amoureuse des protagonistes.

Cet entrelacement des temporalités de la vie des Iveton conduit à penser le destin de Fernand sur le mode du tragique. L’ouvrier du PCF est modeste, il échoue même à abattre sa première cible. Il n’a rien d’un héros romantique. Et pourtant Fernand est enserré dans le dilemme schématique qui oppose son amour pour Hélène à celui pour l’Algérie indépendante. Son choix ne pourra être vécu que sur le mode de la déchirure intérieure  : pour lui, s’il choisit Hélène, pour elle s’il lutte jusqu’au bout.

La blessure est personnelle et ne parvient pas à inscrire l’action d’Iveton dans un espace public. En ce sens, De Nos frères blessés laisse un goût amer. La mise en récit de cette mémoire oblitérée, se fait ici au singulier. Hélier Cisterne ne prend pas la peine d’inscrire durablement dans le récit les personnages Algériens, ni même de véritablement les nommer. Ceux-ci sont réduits au rôle de figurants. Fernand Iveton semble faire cavalier seul. Lui qui, pourtant, a été condamné pour son accointance avec le FLN.

C’est donc de la pitié qu’éprouve le spectateur à l’endroit de ce jeune homme arrêté pour une bombe qui n’aura même pas explosé. L’immédiateté de la passion empêche toute distance historique. Certes le film mentionne le refus par François Mitterrand alors Garde des Sceaux de demander sa grâce, ou encore l’inaction du PCF. Mais c’est surtout l’absurde disproportion de la peine qui marque.

© Les Films du Bélier

Qui énonce  ?

Fernand Iveton a bel et bien existé et son exécution est injuste et impardonnable. Toutefois, De Nos Frères blessés s’inscrit dans une histoire  : celle de la représentation de la guerre d’Algérie au cinéma, en France. Du Petit soldat (Jean-Luc Godard, 1958) à La Trahison (Philippe Faucon, 2006), la guerre d’Algérie a toujours occupé les écrans français. Ce n’est donc pas tant la question de sa mise en images qui nous nous devons d’interroger. Mais bien celle de son énonciation.

Avons-nous en effet pour devoir de nous réjouir sans recul dès lors que le cinéma français s’empare d’une mémoire trop longtemps étouffée  ? Ne pouvons-nous pas espérer mieux d’un art dont nous connaissons la puissance structurante des représentations qu’il véhicule  ? Que penser de la pertinence d’un cinéma qui ne parvient pas à comprendre la nécessaire polyphonie des voix de la mémoire  ?

Car Fernand est un martyr. En témoigne la séquence finale qui le voit quitter sa cellule avant de se faire exécuter. Le condamné y scande «  Vive l’Algérie  », mot d’ordre vite repris par les autres pauvres hères en attente de jugement. Galvanisée, la foule de prisonniers, que l’on devine Algériens puisque s’exprimant en arabe, n’est pourtant réduite qu’à une ombre. Le martyr s’accorde un ultime élan révolutionnaire, entrainant dans son ombre celles de corps que l’on n’aura jamais vus.

Du récit d’Hélier Cisterne aux récits d’Algérie des témoins, il n’y a qu’une lettre. Celle qui marque le pluriel  ; celui de l’histoire, seul capable d’assumer l’imbrication – souvent conflictuelle – des récits mémoriels.

Récits d’Algérie est un site ayant pour projet «  de collecter les mémoires de cette guerre passée sous silence  » afin, entre autres, de «  transmettre ces mémoires par la mobilisation des jeunes générations.  »

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